Le nord du Royaume-Uni était plat comme la paume d'une main. Pas une montagne, pas une forêt, pas une colline. Des plaines vertes que l'été avait fait jaunir s'étendaient à perte de vue et ne s'éteignaient qu'à l'arrivée des falaises qui séparaient les terres de la mer ; là encore, pas de places à admirer. Le paysage s'arrêtait net, sans transition. Les intempéries traversaient toujours la région au galop. Le temps changeait constamment. La lumière et l'ombre se succédaient en permanence, l'une derrière l'autre, pluie, soleil, ciel d'orage, ciel bleu. Et les arcs-en-ciel. Les journées de tournages s'annonçaient difficiles, imprévisibles. Les techniciens et les assistants de réalisation guettaient la météo toutes les heures. Chaque personne utilisant du matériel fragile portait un parapluie, au cas où, ainsi qu'un talkie-walkie pour informer tout le monde si une malheureuse goute tombait du ciel. Proche de la mer, le climat était encore plus imprédictible. En plus de tout cela, la région était désertique. Le village le plus proche était à une trentaine de kilomètres, pas d'hôtel, pas de supermarché. Les régisseurs partaient deux fois par jour faire des provisions avec des camions, mais les courses avaient été programmés pour économiser de l'essence et du temps. Une zone de « camping » avait été installée à quelques centaines de mètres de falaises pour éviter les trop grosses bourrasques de vent ; des campings cars et des roulotes avaient été réunies ; une partie dédiée au logement de l'équipe, l'autre réservée aux préparations du tournage et à la préservation du matériel.
Séréna se tenait debout face aux falaises, les bras croisés sur la poitrine. Le vent était agréable, malgré sa violence. Il portait avec lui une multitude d'émotions et d'odeurs venues d'ailleurs. Le sel venait emmêler ses cheveux, mais cela ne la dérangeait pas. Paupières closes, elle prit de grandes inspirations pour libérer ses poumons de toutes les tensions accumulées. Elle avait passé sa fin de matinée à discuter avec Ken du film et de ses attentes, sans jamais lui faire écouter le morceau qu'elle avait déjà entamé ; il lui avait fait promettre de ne rien lui révéler, afin qu'il garde la surprise pour la fin. S'il se plongeait dans son film dès le début, alors le pari était gagné. Si cela échouait, il faudrait à la jeune femme tout recommencer dans un temps record.
Le lieu se prêtait parfaitement à la créativité. Le réalisateur avait souhaité emmener l'équipe au milieu de ce grand rien violent pour rendre hommage à l'homme dont il racontait l'histoire dans son scénario, puisqu'il était originaire de la région. La symbolique, disait-il, était tout aussi importante que le reste et puisqu'ils en avaient l'occasion, ils se devaient de faire honneur à la mort du pauvre commerçant.
La jeune femme s'accrocha un peu plus à son pull pour se préserver du froid. Tout était si gris et si mélancolique ici. Elle se sentait comme le personnage principal d'un de ces romans où les femmes étaient réduites à l'ennui, la peine et la solitude. Elle trouvait dans ces plaines l'inquiétude des longs moments, la langueur des journées d'hiver passées à l'intérieur à cause des températures trop basses. Un chuchotement lui parvint, traîné jusqu'à ses oreilles par Éole. Rouvrant les paupières, elle fixa ses iris rendues mousses par le temps vers l'horizon et regarda une masse former à des kilomètres de là. Un nouveau grondement du ciel marqua une pause chez elle et elle se décida enfin à sortir son talkie-walkie de sa poche, informant d'une voix calme qu'une tempête risquait de leur tomber dessus d'ici la fin de la soirée. En face d'elle, c'était comme un mur de ténèbres, une masse d'ombre, si compacte qu'elle ne distinguait pas même la trace pâle de la ligne séparant le ciel et la mer. Puis ses yeux s'accoutumèrent aux nuages et elle vit, à droite, là où l'océan commençait à s'agiter, des immenses traces blanches, roses et bleus briser le ciel ; tandis que sur la droite, l'eau, par moment, avait dans le noir un luisant de miroir d'étain. Le vent tombait, elle n'entendait plus que le fracas des vagues sur les falaises et la mélodie lointaine de la pluie qui martelait la mer. Cette nuit serait définitivement bercée par les orages._ Bien reçu, lui répondit-on et elle tourna le dos à la tempête pour revenir vers les caravanes.
De retour dans sa propre roulotte, elle se dépêcha de fouiller dans son sac et attrapa son vieux réflexe, pressée d'utiliser sa nouvelle pellicule sur l'horizon. Rapide comme un félin, elle s'engouffra à nouveau à l'extérieur, faisant fit de l'humidité qui risquait d'abîmer son boîtier si elle restait trop longtemps dehors et couru jusqu'aux falaises pour s'accroupir face à l'immensité de l'eau. En équilibre sur la pointe de ses pieds, elle prit son temps pour cadrer son appareil, parfois bousculée par le vent. Elle éteignit le flash, attendit sagement le grondement de Zeus et compta dans sa tête. Son cœur tambourina fortement dans sa poitrine, excitée par l'adrénaline qui montait en cascade dans son corps et faisait battre ses tempes. Trois. Deux. Un. Elle appuya sur le déclencheur à l'instant même où l'éclair était venu s'écraser entre les vagues. Relevant brutalement la tête, elle resta bouche-bée devant sa prouesse. Un petit cri de réussite s'échappa de ses lèvres et n'en pouvant plus, elle effectua quelques petits bonds de joie sur place.
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Joseph Quinn x OC
FanficSéréna, jeune française musicienne au succès croissant, est invitée au Tonight Show de Jimmy Fallon. Durant son interview, le présentateur lui réserve une surprise et pas des moindres : certains de ses acteurs favoris ont accepté de venir la rencont...