Eluzor

6. Par une nuit d'orage

Un éclair stupéfia Eluzor qui se réveilla en sursaut. Dehors, l'orage menaçait la ville. Il se leva et chancela jusqu'à sa fenêtre. La pluie frappait les carreaux tandis que les arbres se tordaient au vent.

De la cuisine, Eluzor entendit des pas. Il tendit l'oreille en s'avançant vers sa porte de chambre. Il l'ouvrit délicatement en veillant à retenir le grincement. Il s'aventura dans le couloir et ses yeux se dirigèrent vers la lumière venant des escaliers. Il supposa que son père était en bas. Il fit un pas vers la marche pour aller voir ce qu'il trafiquait dans la cuisine, mais il se ravisa en entendant qu'une autre personne était avec lui.

« — Qu'est-ce que tu sais à propos d'Eluzor ? demanda Galaâd d'une intonation grasse.

— La même chose que toi : rien, répondit une voix d'homme qui semblait étrangement familière aux oreilles d'Eluzor.

— Je ne comprends pas. Qu'est-ce qu'il a de si spécial pour qu'on subisse tout ça ? continua Galaâd.

Eluzor s'avança sur la première marche des escaliers. Est-ce que son père parlait de lui ?

— Je ne sais pas, répondit l'autre homme.

— Je veux dire, c'est mon fils, je l'aime, mais est ce que tout ça en vaut la peine ? Venir ici, lui mentir sur ses origines, sur toute sa vie. Est-ce qu'on pourra vraiment le protéger ? Je ne pense pas. Tout ça ne sert à rien j'ai l'impression. Le ténébris à la piscine en est la preuve et ce n'est que le début il a dit. »

Cette phrase, Eluzor l'avait déjà entendue. Comme un déclic, elle raviva tous ses souvenirs oubliés. Sa vue se brouilla et son cœur s'emballa. Puis, il se souvint de tout, le sort de Terence et Galaâd n'avait pas résisté à ses pouvoirs, à son esprit. Il revit la couleur bleue sortir de ses mains, sa noyade, le ténébris et les pouvoirs de Galaâd. L'homme qui était dans la cuisine, c'était Terence, son grand-père, il entendait le bruit de sa canne sur le carrelage.

La rage monta en lui. Comment son soi-disant père avait pu lui faire ça ? Mentir une fois ne suffisait pas, il l'avait refait à mainte reprise. Il avait même accepté de lui faire oublier un morceau de sa vie ! L'étau se resserra sur ses poumons. Qu'est-ce qu'il lui avait fait d'autres ? Eluzor avait l'impression de ne pas maîtriser sa propre vie. Son corps l'étouffait. Il devait exploser l'enveloppe charnelle dans laquelle il était emprisonné. La chaleur ne faisait qu'augmenter. Il avait les poings serrés. Ses traits n'avaient jamais été aussi fermés. Sa colère dégagea des larmes sur ses joues. Si son père avait été devant lui, il aurait été capable du pire. Il voulait l'étrangler, le cogner. Son esprit n'avait pas la force d'accumuler autant d'informations. Autant de mensonge. Il vivait avec un étranger depuis dix-sept ans.

Une remontée brûla sa gorge. Il était en état de choc. Il devait sortir de cette maison. Il avait besoin d'air. Le toit sous lequel il vivait était beaucoup trop nocif pour lui. Malgré l'intempérie, Eluzor courru à sa fenêtre et l'ouvrit. Le vent frappa son visage, mais cette claque lui fit le plus grand bien. D'un coup, il respirait à nouveau. Il retrouvait ses sens peu à peu.

Il lui en fallait plus ; il enjamba le rebord en montant sur le radiateur et se retrouva sur le toit du garage. Il l'avait déjà fait plusieurs fois. Il montait là-haut et ouvrait un bouquin en regardant les passants dans la rue.

Le rideau de pluie letrempa en à peine deux minutes. Mais peu lui importait. Avec habileté, ilglissa sur les tuiles et regarda en bas. Environ trois mètres le séparaient dusol. C'était risqué mais pas impossible. Rien ne le retenait dans cette maison alors il sauta les pieds en avant. Puis, il se mit à courir aussi vite qu'il put. Il devait éliminer toute cette rage qui brûlait en lui. Ses pensées tournaient en boucle.