Eluzor

2. Le Nerve Café

À l'arrêt de bus Clairmarais juste en face de chez lui, une vieille dame traînait un charriot pour faire ses courses. Elle afficha un large sourire en voyant Eluzor, mais il était trop préoccupé pour s'en apercevoir. Ses pensées se contredisaient :

« Et si j'avais un problème ? Et si mon père avait raison de m'envoyer chez Mme. Maigret ? Et si mon inconscient essayait de me dire quelque chose ?

— Jeune homme, vous pouvez m'aider ? »

La dame âgée, plantée devant la porte se démenait pour monter son cabas à bord. Eluzor n'avait pas vu le bus arriver. Il l'aida sans grand mal à le hisser à l'intérieur.

« Merci. » dit-elle avec un sourire distingué, avant de se faufiler jusqu'à un siège au fond.

Elle n'avait rien à envier aux femmes plus jeunes. Coiffure blonde tirée à quatre épingles, chemisier rouge, jupe crayon, apparat de bijoux. Elle reflétait la beauté intemporelle.

Dans le bus bondé, Eluzor s'agrippa à la rambarde, près de la porte arrière. Un marmot hurlait et sautait partout. Sa mère, qui discutait avec une autre femme, ne semblait pas remarquer la gêne que son fils occasionnait.

« Eh ! C'est toi Eluzor Magnus ? »

Surpris d'entendre son prénom, il se retourna intrigué. Devant lui, une jolie rousse le scrutait.

« Oui, dit-il alors que ses joues passaient au rouge.

— Je peux avoir une photo ? »

Le jeune homme n'eut pas le temps d'acquiescer qu'elle sortit son téléphone portable et saisit l'instant.

« Merci ! dit-elle, puis, elle se précipita vers les portes qui s'ouvraient à l'arrêt Beaumarchant. Bonne chance pour la course ! »

Il resta abasourdi une seconde. Rare, étaient les moments où on le reconnaissait. Pourtant, depuis son inscription à la course nationale, il devait s'accommoder de sa notoriété naissante. Dix minutes après, la voix automatique du bus annonça l'arrêt Centre-ville. Eluzor descendit et se fraya un chemin dans la ville jusqu'au Nerve Café.

Je suis arrivé. À ce soir. Bisous, envoya-t-il à son père.

En entrant, il salua Virginie, la serveuse, et Denis, qui lustrait un verre à pied devant son comptoir. Eluzor s'assit à sa table fétiche, au fond du café. C'était la seule table possédant un banc d'angle auburn. Les autres chaises du restaurant se révélaient inconfortables, il en était témoin. À peine installé, Virginie s'approchait de lui.

« Comment va notre sportif de la région ? »

Elle portait une robe noire à dentelle et des mocassins à talon. Ses cheveux, attachés en bataille par un stylo, lui donnaient une allure décontractée des plus originale.

« Très bien. », mentit-il, tellement de questionnement virevoltait dans sa tête, mais il voulait les oublier.

Il n'en fallu pas plus à Virginie pour sortir sa tablette de commande et demander d'un ton jovial :

« Est-ce que tu veux une part de tarte pour t'égayer encore plus cette journée ? »

Malgré ses bonnes intentions, Eluzor n'avait pas faim. Il la rembarra poliment.

« Non, je préférerais un grand verre d'eau et un café. »

Elle rangea son appareil, la mine déçue.