11. Songe macabre

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Bangkok, 1998

Varney appréciait le faible remous du bateau amarré. Son bateau. Un rictus arrogant, plein de satisfaction, rayait son visage sournois. Les mains jointes, il tapotait ses doigts, savourant la rencontre à venir. Hmapa lui servit un verre de whisky japonais de quinze ans d'âge. À l'image de ce spiritueux, le vampire s'améliorait avec les années. Il avait commencé en bas de l'échelle : un pauvre malfrat, un rat discret capable de recueillir des informations secrètes et compromettantes pour le compte de son créateur. Il savait se faufiler, être invisible, prêt à vendre son âme au diable, à trahir et à déshonorer ses pairs sans vergogne. Sa médiocrité morale l'avait érigé au rang de criminel parfait : quand on a rien à perdre – ni ses alliés, ni ses valeurs – on a tout à gagner. 

Et Varney avait bel et bien tout gagné.

Il contrôlait Bangkok et les régions alentours, étendant toujours plus la toile de son influence. Les vampires, en dépit de leur aura menaçante, ne formaient qu'une colonie d'obéissantes fourmis au service de sa majesté l'araignée. À savoir lui. Il ricana intérieurement en s'imaginant en grosse tarentule, la tête surmontée d'une couronne de rubis. Pour le moment, son règne était incontestable. Il y veillait. Il avait bien un maître, une créature de l'ombre, mais il était le seul et l'unique à démontrer son autorité en plein jour – enfin, façon de parler. Et c'était ça qui le grisait. Faire naître l'effroi dans les prunelles des humains, des vampires, des loups-garous et de toute autre forme de vie peuplant cette planète : d'insignifiants insectes, qu'il se délectait de faire croustiller sous sa botte.

Depuis sa plus tendre enfance, il était amoureux de la destruction. Alors maintenant qu'il en avait tous les pouvoirs, il n'allait certainement pas s'en priver. Son créateur et maître l'avait parfaitement choisi : pour faire le sale boulot, il ne manquait jamais à l'appel. Comme un petit garçon colérique qui prend plaisir à démembrer ses jouets, Varney aspirait à régner, à dominer et à détruire. Et, bien sûr, à vivre dans l'opulence. Mais c'était secondaire.

— Tu es sûr qu'il va venir ? s'enquit son fidèle serviteur, un loup-garou à l'allure féroce mais à l'obéissance canine.

— S'il se défile, nous saurons où le trouver. Donc, il viendra. Il vaut mieux être avec nous que contre nous, n'est-ce pas. Il serait stupide de ne pas le savoir.

Hmapa acquiesça, toujours prompt à conforter son maître. Les minutes s'écoulèrent. Seul le clapotis régulier de l'eau carillonnait dans le port endormi. Enfin, la passerelle craqua sous les pas d'un individu. Prudemment, il avança jusqu'à la proue du bateau, gardant toutefois ses distances.

— Bonsoir, bienvenue dans mon humble repaire.

L'étranger portait un costume classieux, peu commun en ces lieux où la vermine paissait.

— Que puis-je faire pour vous ? l'invita Varney, sans détour.

Il n'était pas du genre à y aller par quatre chemins. Qu'il soit grassement rémunéré était sa seule condition pour exécuter un service. Rien de plus, rien de moins. L'individu gardait le silence, hésitant. Varney commençait à perdre patience.

— Sache que si tu changes d'avis quant à ta requête, je te retrouverai. Ensuite, plus personne ne te retrouvera, à toi de voir.

— Ne vous en faites pas, je n'ai pas prévu d'annuler la commande, s'exprima fébrilement l'homme au costume.

— Bien, je vois qu'on se comprend. Parle, maintenant. Je n'ai pas toute la nuit.

— Le Roi Rae IX et sa femme doivent disparaître.

Varney arqua un sourcil. Alors ce n'était que ça, un simple coup d'état. Pourquoi faire appel à lui pour une si basse besogne ? Les humains se débrouillaient habituellement très bien sans lui pour la trahison politique... Mais il n'avait que faire de leurs raisons, seul importait le butin. 

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