Le Voyage De Retour

Rentrer.

Aragorn les distraya aussi longtemps qu'il le put, malgré ses nombreux devoirs de roi. Il était ravi de revoir les hobbits et voulait les garder auprès de lui autant que faire se peut. Il avait cependant des doutes quant à la nature de leur venue, et n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Il sentait bien que quelque chose les tracassait, mais ne voulait pas les brusquer en les forçant à s'ouvrir à lui. Il se tu donc et les laissa repartir, sans manquer de les avertir des dangers. Il ne savait pas exactement ce qu'ils comptaient faire car les hobbits n'avaient pas détaillé leur plan de route. Ils avaient demandé beaucoup de vivres mais ne semblaient pas décidés à retourner en Comté, plutôt à partir à l'aventure. Aragorn résista à l'envie de les suivre, bien qu'il aurait pu le faire très facilement : ses aptitudes de rôdeur n'étaient pas perdues, même après quelques années de règne. Il menait lui même plusieurs escouades pour combattre des groupes d'orques qui attaquaient les villages de son royaume.

Merry et Pippin écoutèrent sagement ses conseils avisés mais restèrent concentrés sur leur projet. Ils allaient au Mordor, quel que soit le danger ! Aragorn était inquiet mais ne les arrêta pas, et ils se quittèrent sans lui avouer leur destination. Pippin se retourna malgré tout, une fois la cité derrière eux, tâche blanche adossée à la montagne, et espéra de tout son cœur que ça ne serait pas la dernière fois qu'il la voyait. Son intrépidité s'était assagie depuis qu'il avait mené ces batailles et il était devenu plus peureux qu'avant. Bon, il avait pourtant proposé ce projet fou, mais Merry cautionnait, ce qui le rassurait quelque part.

Leurs poneys s'engagèrent dans les broussailles et ils se mirent en marche vers le Mordor. Leur voyage se déroula silencieusement, les deux hobbits n'osant plus vraiment rire comme avant, car les forêts qu'ils traversaient n'étaient pas aussi accueillantes que celles de la Comté. Bien que le seigneur des ténèbres soit mort, ses traces étaient encore partout, dans l'eau, sur les pierres noircies et les herbes sèches, dans les troncs blessés des arbres, et les ombres du soir. Souvent, ils frissonnaient de manière incontrôlable, comme si un fantôme avait soufflé dans leurs cous son haleine glacée. Leur humeur avait diminué, et les deux hobbits avançaient machinalement, attentifs aux moindres craquements annonciateurs de mauvaises nouvelles. Merry comme Pippin commençaient à douter du bien fondé de leur voyage. Pourquoi faisaient-ils cela ? Ça n'avait aucun sens, si ce n'est les déprimer.. .

Ils firent un arrêt d'une journée une fois proche des anciennes portes noires, devant lesquelles ils avaient combattu il y a de ça quelques années maintenant. Les deux hobbits ressassaient les souvenirs terribles qu'ils y avaient vécu, la peur et le stress d'avant bataille qui sonnait comme leur dernière heure. Surtout, c'était le désespoir qui les avait envahi quand la bouche de Sauron avait brandi la côte en mithril de Frodon, annonçant qu'il était mort. Pippin ressentait encore la douleur du cri qui avait écorché sa gorge à ce moment là, et la perspective de mourir l'avait ébranlé. Eomer avait eu beau plaisanter, il n'avait pas eu tort en disant que les deux hobbits étaient miraculés. La bataille avait été extrêmement âpre, et ils s'étaient tous jetés dedans tout en sachant pertinemment qu'ils n'y survivraient pas. La fin avait été heureuse, mais voler au devant de la mort laissait des traces là aussi, et retourner sur ces lieux réveillait ces souvenirs. Merry et Pippin ne s'attendaient pas à y repenser autant, et il leur fallut une longue pause avant de trouver la force de descendre jusqu'aux portes écroulées. Le sable fin crissait sous leurs pieds, et des éclats de pierre noire y brillaient, résidus des portes détruites.  Ils descendirent de leurs poneys pour passer le vide laissé par les anciennes portes disparues, chaque pas les rapprochant de leur destination et de leur objectif : aller jusqu'à la montagne du Destin pour vivre ce qu'avait vécu Frodon et Sam. Ils s'enfoncèrent enfin au Mordor, le souffle court car ils n'étaient jamais allés plus loin que là. Devant eux s'étalait l'inconnu, l'inconnu douloureux qu'avaient connu Frodon et Sam durant leur voyage. 

Merry se retourna pour observer le paysage morne derrière lui, à peine différent de ce qu'il y avait devant. Cependant, la perspective était autre, et ils étaient maintenant en territoire ennemi, quand bien même l'ennemi n'existait plus. Pippin tremblait lorsqu'il le regarda et lui fit un pauvre sourire :

- On est bien arrivés jusque là, c'est impressionnant ! Je ne me rappelais pas que cet endroit faisait aussi peur pourtant.. 

- Moi non plus, Pippin, moi non plus..

Pippin resta silencieux un long moment, à contempler la plaine vide qui s'étendait à leurs pieds et qu'ils devaient traverser pour arriver au bout du chemin. Il hésita, avant de murmurer :

- Et si on faisait demi tour ? 

Merry le regarda, surpris.

- C'était ton idée pourtant ? 

- Oui, mais maintenant j'ai peur. Et Aragorn nous a dit que c'était dangereux. Je ne sais pas pourquoi on fait ça, Frodon ne reviendra pas !!

- Je sais ! Mais lui et Sam ont affronté cette traversée seuls, dans un contexte bien plus dur et tu te dérobes maintenant ? Je suis déçu de toi Pippin, je te pensais plus vaillant ! 

Pippin cria soudain :

- Ce n'est pas une question de courage ! Je voulais juste comprendre pourquoi il est parti ?! 

Merry éleva la voix lui aussi :

- Parce que l'anneau l'a brisé, tu le sais bien ! Ce n'est pas le voyage en lui même, c'est et ça aura toujours été l'anneau ! C'est à cause de cet objet de malheur qu'il nous a quitté, avec Gandalf et le vieux Bilbon ! 

Sa voix se brisa sur la fin, tandis qu'il rajoutait :

- Regarde, même Sam a été touché. Parfois il regarde des heures dans le vide, et je ne suis pas sûr qu'il ne pense qu'à Frodon.. lui aussi a porté l'anneau et ça lui a laissé des séquelles. 

Pippin pleurait, et ses larmes s'écrasaient dans la poussière.

- Il me manque tellement ! J'aurais préféré que nous ne soyons restés ensemble jusqu'au bout ! Qu'il ne parte jamais de la Comté !

Il essuya son visage, le marquant de traces noirâtres laissées par la saleté du voyage.

- Je pensais qu'en venant ici, en faisant une partie du trajet, je comprendrais ce qui l'a poussé à partir mais rien.. tu avais raison Merry, c'était l'anneau. 

Il ravala ses sanglots, et afficha un sourire triste.

- Je suis content qu'on ait participé à sa destruction. Mais j'aurais préféré qu'il ne nous arrache pas notre hobbit préféré. 

Merry passa son bras par dessus son épaule et lui frotta le dos.

- Moi aussi Pippin, moi aussi. 

Ils regardèrent la montagne éteinte au loin, les larges coulées de lave calcinées qui s'entortillaient tout autour, et les terres arides, à peine coiffées de quelques buissons secs. L'endroit était mort depuis longtemps, et peinait à se remettre des vices qui l'avait habité. 

Ils étaient venus faire leur deuil, et le trajet leur avait permis d'extérioriser la souffrance que le départ de Frodon avait créée.

Ils remontèrent sur les poneys, et alors qu'ils les dirigeaient vers le chemin qu'ils avaient pris, Pippin s'écria soudain :

- Merry, regarde ! Il y a une fleur là !

Il tendait le doigt vers une toute petite plante verte, aux clochettes translucides légèrement agitées par le vent, qui poussait fièrement parmi les roches. Ce petit point de vie dressée comme un défi dans cette terre fracturée et déserte était un message d'espoir et de guérison. Les deux hobbits l'admirèrent un long moment, jusqu'à ce que les poneys s'ebrouent d'impatience. Merry secoua la tête, un petit sourire sur les lèvres.

- Allez, viens Pippin. Rentrons à la maison.

                                  Fin.