DEUX FOIS RIEN

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L'exaspération de la partie anglophone du pays se faisait grandissante, revendiquant de plus en plus l'attention à travers des manifestations non armées, du moins pas encore

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L'exaspération de la partie anglophone du pays se faisait grandissante, revendiquant de plus en plus l'attention à travers des manifestations non armées, du moins pas encore. Bientôt, suivraient les activistes piétinant le drapeau national, le phénomène de villes mortes, les arrestations, dégradations, bavures et incendies.

La Communauté Économique et Monétaire d'Afrique Centrale avait échappé de peu à la dévaluation du franc CFA. La chute du prix de pétrole associé au climat sécuritaire instable dans trois des six pays membres, laissait déjà apparaître des dégâts sur l'économie. Mais cela n'empêcherait pas le Cameroun de faire entrer en vigueur un accord avec l'Union Européenne, annulant toute douane sur les produits européens. Pour une durée illimitée.

Dans les mémoires des camerounais, demeurait encore le scandale sur le décès atroce d'une femme enceinte, refoulée d'un des plus grands hôpitaux du pays, parce qu'elle n'avait pas les «moyens» de payer la totalité des frais d'hospitalisation. Alvine Monique était morte sur les marches de l'hôpital, en même temps que les jumeaux qu'elle attendait.

L'année 2016 correspondait aussi à l'année des révélations musicales. Les jeunes reprennaient le flambeau avec des morceaux comme La Sauce de Reniss, devenu une chanson populaire. Ou encore Coller la petite de Francko, la chanson camerounaise au succès planétaire.

C'était dans cette conjoncture ambiguë qu'aurait lieu l'accident ferroviaire le plus meurtrier du pays, dans une localité broussailleuse de la région du Centre-Cameroun.

***

- Mademoiselle, le pont à Manyaï a été détruit par la pluie, tous les voyages Yaoundé-Douala par voie terrestre ont été annulés. Désolé, il n'y a rien que nous puissions faire.

Adèle manqua de peu une chute. Elle chancela d'ailleurs un peu en écoutant le réceptionniste de l'agence de voyages. Le jeune homme, avec sa visible tendance pour l'embonpoint, lui expliquait d'un regard conciliant, que la nationale N°1 n'était pas disponible. La pluie ravageuse de la veille avait anéanti ce qu'il restait de la construction autrefois appelée pont. Impossible de quitter de Yaoundé pour Douala par voie terrestre, sans traverser ce fameux pont. On n'y pouvait rien.

La main serrée autour de la manche de son grand et gros sac, Adèle remercia le réceptionniste avant de se retourner, le regard dans le vide. Il ne lui restait que deux possibilités : l'avion ou le train. Le choix fut vite fait. S'offrir un vol de la Camair-Co n'était pas accesible à tous les camerounais, et surtout à ceux comme elle, qui n'avait presque plus personne sur qui compter. Le père d'Adèle était décédé d'un infarctus du myocarde, lorsqu'elle avait quatorze ans et demi. Elle tenait toujours à préciser cet âge ; lors du décès de son père, elle n'avait même pas encore quinze ans.

Et depuis lors, plus rien n'avait été pareil pour Adèle et sa mère. C'était devenu bien pire. Aux matinées sans petit déjeuner, se sont ajoutées les après-midis après l'école, passées à aider sa mère au marché. La bonne femme y était en effet vendeuse à l'étal. Adèle ne s'était jamais plainte, mais n'avait rien pardonné non plus. Et elle ne pensait un jour pardonner à sa mère ou à son père bien que défunt, de lui avoir offert cette existence à l'allure de survivance.

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