Chapitre 1 : Genèse

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Au commencement, Unistama n'était qu'une immense roche dans l'espace, vide de tout organisme vivant. Un jour une comète, provenant d'une galaxie lointaine, s'écrasa en neuf morceaux sur l'astéroïde qui donnèrent naissance aux Divinités Ancestrales. Elles foulèrent ce monde complètement vierge et commencèrent à lui donner vie.

A chaque pas que faisait Honu Honua, la gigantesque tortue à la carapace boisée, apparaissaient des forêts, des vallées, des prairies remplies de solas, ces petites fleurs en forme de boules blanches lumineuses, mais aussi de fougères enroulées sur elles-même, d'arbres, dont les veines étaient remplies de sève phosphorescente, et de bien d'autres végétaux en tous genres. Mêr Agir, géant humanoïde de feu, faisait naître les volcans et les déserts d'un coup de poing ravageur. Venaient ensuite des larmes d'Hydraelidre, les océans et les cours d'eau, qui ondulaient comme le corps du serpent de mer dans le ciel. Dans ce dernier, deux femmes prenaient place au-dessus du monde, chacune dans un char projetant leur lumière : la Lune, Kuu, et le Soleil, Tav, s'éloignèrent à l'opposée. Ryuk, tigre aux bois de cerf et maître du temps, les y avait guidées. Son souffle et ses pas réveillèrent chaque être vivant de son sommeil figé. Puis Mirî, l'oiseau de la Mort, venait les recueillir lorsque venait le moment de leur ultime repos.

Deux Divinités restaient cependant introuvables à la surface d'Unistama. La première s'était réfugiée dans le plus profond des océans pour veiller sur les Divinités. Chasach maintenait l'ordre entre ces dernières, et donc dans le monde, grâce aux tentacules qui lui faisaient une barbe fournie sur sa tête de pieuvre.

La seconde Divinité s'était réfugiée profondément sous terre, dans une immense caverne qui lui faisait office de cocon protecteur. Saoghal, l'éternelle endormie, avait rêvé de ce monde et les avait conduits jusqu'ici. Dans son sommeil, elle l'avait façonné, retravaillé et maintenant ses songes étaient peuplés de toutes sortes de créatures incroyables qui prenaient vie en sortant de terre, comme pourraient le faire les fleurs ou les arbres. Saoghal rêva des humains, des êtres qui coexisteraient avec les Dieux et les vénèreraient en échange de services ou de protection. Les premiers hommes firent ainsi leur premier pas sur Unistama.

Au cours des siècles, les humains bâtirent plusieurs cités, délimitèrent des pays, explorèrent les mers, menèrent des guerres, avides de pouvoir. De nouvelles Divinités voyaient le jour au fur et à mesure qu'Unistama se développait, offrant de nouvelles tentacules à Chasach. Mais jamais les humains n'oubliaient d'honorer les Dieux, qui n'oubliaient pas, en retour, d'accéder à leurs requêtes, si tant est que le prix payé soit à la hauteur.

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Cela était le cas, tous les ans, au lendemain de la Lune Noire, dans la capitale de l'archipel d'Azaria qui organisait une commémoration en hommage à la divinité de l'eau. Il était crucial de s'attirer ses faveurs dans cet archipel au beau milieu de l'océan. Le cortège partait du temple dédié à la divinité, traversait toute la ville et disparaissait dans un endroit tenu secret afin de procéder au rituel. Personne ne savait en quoi il consistait. C'était la première année où Nitko avait l'autorisation de se rendre seul sur la place principale afin d'y assister. Mais le petit garçon avait autre chose en tête. Il allait suivre le défilé et voir l'ensemble de la cérémonie. Ses parents lui avaient plusieurs fois répété qu'il était interdit de déranger une cérémonie sacrée mais ils devaient le prendre pour un trouillard, comme ce garçon qui s'était moqué de lui à l'école. Il voulait leur prouver à tous qu'il était courageux, qu'il pouvait accomplir quelque chose tout seul ! Alors quand il leur raconterait qu'il avait vu une vraie divinité, ils lui demanderaient pardon et il ne serait plus embêté par les autres enfants. Il pensait à tout ça quand un bruit de trompette le ramena à la réalité.

Des musiciens sortaient du temple, habillés de toutes les couleurs, suivis par des danseuses qui se contorsionnaient dans tous les sens. Leurs enchaînements racontaient comment la divinité avait créé les mers et océans et fait jaillir les rivières et les torrents. Le rendu était spectaculaire, des étincelles jaillissaient de partout et Nitko ne savait pas où regarder. Des étoiles brillaient dans ses yeux d'enfant et il faillit rater l'entrée des Svia Mora, les serviteurs dédiés à la divinité. Ils portaient tous un simple masque noir, ne laissant apparaître de leur visage, que leurs lèvres blanches, femmes comme hommes. Ils étaient drapés dans de longues robes blanches avec des motifs roses pâles, et semblaient se mouvoir au-dessus du sol. Chacun d'entre eux portait une lanterne allumée dans ses bras. Elle était décorée d'immenses serpents de mer, qui dansaient à lueur des flammes. Ils étaient une trentaine, les uns derrière les autres, à suivre le début du cortège, impassibles et coordonnés. Le petit garçon se déplaçait en même temps qu'eux, ne voulant pas les perdre de vue mais cela était difficile de se faufiler dans la foule compacte tout en les suivant du regard. Il finit par heurter violemment un badaud et tomba à la renverse pour se retrouver sur les fesses. La douleur lui fit monter les larmes aux yeux. Il était rentré dans une vieille personne, qui, fougueuse, lui attrapa les épaules, le souleva de terre et le réprimenda comme jamais. Nitko n'arrivait pas à se soustraire de sa poigne et pendant ce temps là, le défilé avançait vers la sortie de la ville. Il commença à paniquer. Il ne pouvait pas se permettre de les perdre maintenant ! Mais comment pouvait-il se débarrasser de ce vieillard ? Alors, jouant l'enfant mal élevé jusqu'au bout, il écrasa le pied de l'ancêtre, qui le lâcha sous la surprise, et il put s'enfuir.

UnistamaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant