Prologue : la transformation

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Crédit image :  WW1 Death Angels, Max Nafar.

Les images ne m'appartiennent pas, mais elles sont vachement cools.

Velten Von Guul

Le jour où je suis devenu nécromancien, j'ai cru mourir.

Au début, lorsqu'on me disait que je sentirai une bouffée de chaleur et la tête qui tourne, j'associais cela à l'ivresse. Après tout, le vin produit des effets similaires, s'il ne faut que ça pour devenir sorcier, il n'y a rien à craindre non ?

Non.

J'ai observé mon maître, un homme dans la trentaine, fort, au visage froid et au regard brûlant d'inquisition. Apeuré, j'ai cherché une lueur d'approbation dans ses yeux, car ils étaient vieux, ils trahissaient une expérience qui dépasse celle des anciens. Celle d'un homme qui a vécu les croisades, quand bien même elles remontent à plusieurs siècles. La lame de son couteau a couru le long de sa paume, son sang a gouté jusqu'à remplir un calice qui m'était destiné. La coupe trônait au centre de la salle des rituels, au milieu de mille runes. J'ignorais tout de la magie. Bien sûr, j'avais une vague idée de ce qu'elle était, mais je ne l'avais jamais pratiquée. Il faut un rituel pour cela.

C'est pour cette raison que mon maître saignait dans un calice, pour faire de moi un nécromancien. Je devais boire son sang et m'imprégner de ses pouvoirs pour réveiller les miens. J'en avais conscience. Il m'a parlé des cauchemars qui me hanteraient toute ma vie, des terreurs nocturnes et des crises de fébrilité qui m'attendaient. Je savais qu'en le rejoignant, en devenant un mage, je souffrirais. Mais le terme souffrance est trop vague. La magie n'a jamais infligé de souffrance, c'est le corps qui s'est toujours évertué à la rejeter. Je savais qu'au début, j'arriverais à peine à créer une étincelle au creux de ma main, qu'il me faudrait des décennies pour développer mes pouvoirs.

Mais quand on naît cinquième fils de forgeron, on sait très bien que l'on n'a aucun avenir. Je suis né plusieurs siècles avant qu'on ne découvre l'ampoule à filament, à une époque de chevaliers et de princesses. Pour moi, déjà à l'époque, la magie constituait une fuite vers l'avant. Certes, je souffrirais, certes, je cauchemarderais, mais j'aurai la puissance. J'aurai un futur que le destin m'aurait refusé. De toute manière, si la douleur est inévitable, pourquoi l'éviter ? Autant l'embrasser et se forger un avenir dans le sang et les larmes.

Parce que cette nuit-là, j'ai découvert mes limites et la magie m'a fait comprendre que si je voulais survivre, j'allais devoir les repousser, loin, jusqu'à l'horizon.

J'ai bu le calice jusqu'à la lie.

Au début, un goût ferreux dans ma bouche, puis mon estomac qui se tord. C'est seulement après avoir fini mon verre que j'ai connu le feu de la magie. Je connaissais celui de la forge de mon père, un avant-goût impuissant de ce qui m'attendait. Terrassé de douleur, je me suis effondré par terre, comme si on m'avait jeté dans une cuve de métal en fusion. La chaleur était insupportable, je n'avais plus la force de crier ni même de ressentir. J'ai pleuré des larmes de sang et mon dernier souvenir avant l'inconscience, fut celui de mon maître qui me traînait au centre des runes pour me maintenir en vie. Je ne souhaite cela à...

« Velten ! » J'ai un sursaut.

Je reprends conscience de mon environnement : je suis dans une salle d'opération de l'hôpital. Une grande pièce blanche, éclairée de mille feux par des lampes électriques. Dans un coin de la pièce, c'est un évier qui délivre une eau cristalline. Un infirmier finit de s'y laver les mains tandis que ma patiente prend de nouveau la parole.

« Velten, tu divagues encore ? » Voix calme, froide, en contrôle de la situation.

Vona, dans son uniforme d'inspectrice de la police militaire. Elle rajuste sa cravate dans un geste coutumier qui trahit une certaine appréhension. Allongée sur la table d'opération, elle serre à intervalle régulier une lanière de cuir. Son sang finit de goutter dans la bouteille prévue à cet effet et je retire l'aiguille de son bras. Je réponds à ma collègue nécromancienne, une beauté froide qui n'a pas fini de me faire tourner la tête.

« Oui, je pensais à ma jeunesse. Avant que je ne devienne mage.

-Tu parleras de ça à ma disciple. C'est le grand jour pour elle. »

C'est l'heure du rituel. Si les époques et les manières ont changé, le sang reste la clef. Nous avons troqué le calice contre la perfusion, mais cela ne change rien aux mœurs de la magie : l'opération est toujours délicate. Contrairement à moi, la disciple de Vona aura un médecin en plus de sa maîtresse.

Pourtant, alors que je prépare le matériel nécessaire, je suis pris d'un doute : est-ce que cela vaut le coup ? Des siècles plus tard, les cauchemars ne m'ont toujours pas quitté.

« Velten, » m'interrompt la nécromancienne, en se relevant, « tu penses trop, viens, elle t'attend. »

Elle a choisi un chemin aussi long que cruel. J'espère qu'elle est prête, car si la plupart survivent au rituel, les cauchemars s'assurent que les jeunes mages ne voient pas la fin de la première année.

Je prépare la transfusion sanguine : le sang de Vona va devenir celui d'une autre. Demain, nous serons riches d'une nouvelle mage, mais pour combien de temps ?

Les nécromanciens d'OstrieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant