I/ Baignoire & chevrotine

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Vona Von Hardrasdottir

Je vide un nouveau sac de glaçons dans la baignoire. C'est le troisième cette nuit et avec un peu de chance, le dernier. Nous allons commencer à manquer de blocs de glace à ce rythme-là et heureusement pour elle, ma disciple refroidit petit à petit. Dès lors que j'ai vidé mon sac, j'entends un grognement d'inconfort dans la pénombre toute relative de la salle d'hydrothérapie, là où nous l'avons emmenée après le rituel. J'ai refusé de la laisser se débrouiller seule. Elle a eu une réaction violente à mon sang, inutile de lui rajouter le trauma de la solitude.

C'est bien pour cette raison que je lui tiens compagnie dans la salle des eaux thérapeutiques. L'hôpital n'a plus guère usage de celle-ci, c'est devenu une pièce de bain public. Mais ce soir, il n'y a personne, la salle a été vidée en prévision du rituel. Alessa a été perfusée avec mon sang, elle a vomi son déjeuner, a commencé à chauffer, puis a poussé des cris de terreur alors que Velten et moi la submergions dans l'eau froide. Il le fallait, sinon elle serait morte d'hyperthermie.

Dans l'obscurité, j'entends l'onde se troubler et mon élève se redresser quelque peu. Lasse de mariner dans une baignoire depuis le début de la soirée, elle tente de se relever, mais épuisée par la procédure, s'accoude gauchement au rebord. Sa silhouette se découpe progressivement dans les ombres à mesure que mes yeux s'habituent aux ténèbres. Suffisamment pour deviner la silhouette de mon étudiante, pas assez pour lire son visage. Même si elle est toute habillée, je laisse les lumières éteintes. Quand j'ai passé le rituel, je ne supportais pas la lumière, il m'a fallu une nuit complète pour tolérer le moindre rayon de soleil. Pour cette raison, je ne touche pas à l'interrupteur tandis que mon élève prend la parole dans un grognement douloureux.

« Je croyais que ça ne ferait pas mal. » Ma disciple cherche à tâtons le verre d'eau sur la table de chevet. Je me permets une réponse piquante.

« Alessa... » J'ai un sourire, un brin ironique, « tu pensais vraiment que tu rejoindrais un monde de souffrance sans verser une larme ?

-C'est la rançon de la gloire, » répond la jeune fille en trouvant son verre. « J'en suis une maintenant. » Poursuit-elle d'une voix enrouée malgré le rafraichissement. « Je suis une magicienne.

-Oui. »

Inutile de l'assommer avec le vocabulaire inhérent à notre caste. C'est une mystique, elle a éveillé son potentiel, c'est ce qui compte. Le reste est fioriture. Honnêtement, le jargon est utile quand nous sommes entre experts, mais inutile de l'infliger à Alessa : c'est une novice qui vient à peine de terminer le rituel.

Enfin si ! Velten et son cerveau à nœud argumenteraient qu'il faut tout de suite inculquer les distinctions entre mystique, nécromancien et mage, mais à quoi bon ? Elle est à peine capable de tenir debout, ce n'est pas le moment de lui bourrer le crâne avec des différences qui servent à brosser l'égo des mages. De toute manière, on peut se cacher derrière ces jolis titres, mais ils n'ont jamais protégé personne d'une dose de chevrotine en pleine gueule, qu'importe ce qu'en dit Velten.

Mais je m'emporte déjà et résume mes pensées à voix haute, plus pour moi que ma disciple.

« C'est Velten. »

Velten réussit cet exploit d'être le plus viril de tous les nécromanciens, tout en étant une larve amorphe. Il existe en lui une virilité extraordinaire en la qualité de son apparence : un simple masque à gaz relié à une poche à sa poitrine qui filtre l'air. Costume noir tiré à quatre épingles avec par-dessus une blouse blanche. Il émane de lui cet aspect irréel de la nécromancie et il transpire la magie par tous les pores de ses fringues, puisque personne n'a jamais vu son vrai visage ni son corps dénudé. Pourtant, cet aspect cadavérique, voire cauchemardesque, est effacé par sa démarche nerveuse, sursautant, maniaque. Corps de guerrier avec un esprit de poète, qu'on lui offrirait une rose qu'il verserait une larme derrière son masque à gaz.

Les nécromanciens d'OstrieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant