II/ Pluie & plomb

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Vona Von Hardrasdottir

Le double canon juxtaposé glisse naturellement entre mes mains. Je récupère une cartouchière de munitions à balles et l'enfile à ma ceinture. Je quitte mes appartements un instant plus tard, parée pour une chasse à l'homme qui, loin de m'évoquer de lointains souvenirs, me renvoie à la semaine dernière.

Velten a le don de toujours paumer dans la nature ses sujets d'expérience. C'est mon unique réflexion en prenant les escaliers.

Je suis à peu près certaine qu'il s'agit de lui et ses travaux glauques : il n'a jamais pu s'empêcher d'expérimenter. Toujours en quête du prochain sérum miraculeux, de la nouvelle génération de zombie pour la guerre. C'est un scientifique qui ne s'est jamais demandé si on avait besoin de ses recherches, si les problèmes qu'il résout avaient besoin de l'être. Contrairement à d'autres, il ne s'arrête jamais de chercher.

J'inspecte visuellement mon fusil de chasse : deux canons à âme lisse, deux marteaux de mise à feu et à l'intérieur des chambres jumelles on trouve deux cartouches bleues. Des balles à sanglier, idéal pour les ours, mais aussi pour le gibier à deux pattes.

En arrivant au rez-de-chaussée, je croise Grimm que je salue d'un signe de tête.

Comment le décrire ?

Grimm est une brique, tout simplement. Il lui emprunte son esthétique : avec une mâchoire en parpaing, une tête en pavé, des cheveux courts couleur goudron et des yeux sable qui tendent vers l'ambre, sans compter les épaules carrées. Lui et la brique ont la même texture : lisse, dur, prévisible. Oui, on ne se trompe pas en le voyant : costaud, large, grand, il a la performance qu'on peut attendre d'un homme de son gabarit. En marge de sa corpulence qui évoque celle d'un lion sous stéroïdes, il est toujours dans le registre du bâtiment. Mentalement c'est un bloc de béton : gueule renfrognée qui le rend opaque, dense de par sa cervelle qui est aussi remplie que ses muscles. On peut y trouver refuge aussi, il a le sens de l'hospitalité.

En fait, Grimm est un de ces grands chevaliers qu'on retrouve dans les contes de fées. Celui qui bute le dragon puis tringle la reine (il me faut une couronne). Simplement, Grimm est le héros de sa propre histoire et hélas, le récit de sa vie est un registre de libraire. Parce qu'il s'occupe de la bibliothèque et semble indifférent aux grandes causes de l'humanité.

« Vona, » démarre l'homme qui réveille mes plus profondes dépravations d'une voix grave, sortie d'une contrebasse. « Tu as entendu le vacarme dans la cour ? »

Mon instinct me crie de l'inviter en faire dans ma chambre.

Ma raison de nettoyer les jardins de l'hôpital au fusil de chasse.

Je réponds au libraire d'une voix calme.

« Oui, j'ai entendu le vacarme dans la cour. J'ai vu une forme bouger dans les ombres, depuis la fenêtre d'Alessa.

-Ta disciple va bien ?

-Oui, merci de prendre de ses nouvelles. Comment te portes-tu ?

-Mal. »

Vraiment ? Lui qui d'habitude paraît si stoïque, je m'empresse de lui demander la raison de ce malaise, « pourquoi ?

-Parce qu'il y a une saloperie qui rôde dans la cour. »

C'est définitivement une brique. Il reprend.

« Tu as ramené les balles à sanglier ?

-Oui, » j'ai un regard vers son arme.

Un fusil à verrou classique, couvert de rayures dans le bois comme dans le métal : un modèle de la guerre qui continue de servir avec brio. Assez long, il a l'air pourtant étrangement petit comparé à son propriétaire. Il le tient d'une main négligente, comme si c'était un vieux livre qui ne pesait rien.

Les nécromanciens d'OstrieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant