V/ Les loups dehors et dedans

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Finalement après 2 mois de hiatus, la suite.

Daan Renloo

L'esthétique compte pour beaucoup.

Loin de m'engouffrer dans des conflits de raison, comme ceux qu'on peut trouver dans les livres de philosophie, c'est plutôt un constat naturel.

En marge du suicide de Klutz et de cette mission avortée dans les villes minières, c'est une drôle d'ambiance dans laquelle baigne l'asile, ou chacun se donne du fraternel, en sachant pertinemment qu'à une autre époque, nous nous serions entretués sur un doute ou un mauvais regard. En attendant, Vona et Grimm nous ont donné une mission qu'ils préciseront un peu plus tard, lorsque nous les verrons.

Je regarde ma réflexion partielle dans un miroir du grand hall : veste et pantalon gris, écharpe large nouée autour de mon visage, bottes noires, cartouchière qui me barre la poitrine, c'est l'ambiance mercenaire à l'hôpital. Je me drape dans une veste en cuir qui a appartenu jadis à mon maître et que j'ai récupéré par soucis d'économie : rapiécée cent fois, elle commence tout doucement à ressembler à une cape de camouflage.

En train de faire les cent pas dans le hall, Alessa a opté pour une chemise blanche, pantalon à brettelles noires, un vieux veston hérité de Vona et un béret en toile. Elle a une allure de criminelle en vadrouille, fuyant la ville pour se réfugier en campagne. En un sens, nous sommes tous devenus nécromanciens pour échapper à une vie de misère, qu'importe son origine.

Dans cette grande salle des pas perdus, qui prend des airs de palais de justice, on se demande la suite. Comme au tribunal, c'est là qu'on se mélange : les mages les plus puissants, les nécromanciens de second rang, les apprentis hantés par les cauchemars et les étrangers qui cherchent à exaucer un souhait. Tous passent par ici, foulent le carrelage en damier blanc et noir, puis viennent voir l'homme à l'accueil. Fritz.

Fritz est la somme du cynisme et de la nécromancie.

L'argot est la banalisation du réel : chaque métier possède son propre jargon, qui concerne toujours les actions quotidiennes. Les militaires graillent, les flics ont les actions de feu et j'en passe. Pour les nécromanciens, il y a Fritz.

Un homme de taille moyenne, sans visage ni voix, dont on devine le sexe par la largeur de ses épaules, la taille de ses bras et l'imposante langue de plomb à sa ceinture : grosse matraque dont il se sert pour mater les récalcitrants, il tient le rôle de secrétaire comme de garde. Enveloppé dans des bandelettes, des attelles et des orthèses, c'est comme si l'hôpital lui-même avait donné naissance à son protecteur. Sur son passage, la nuit, les lumières clignotent, le vent faibli et la température diminue. Une fois, en restant au chevet d'Erika qui faisait une crise à cause de son diabète, je l'ai entendu à l'œuvre.

Fritz a surpris un étranger dans la pharmacie, un cambrioleur venu remplir ses fontes. Vona et Grimm en ont parlé le lendemain. Pour ma part, alors que j'étais dans une chambre individuelle avec ma cadette, cerné par d'épais murs de béton et une grosse porte métallique, j'ai entendu le gardien. Le cri de surprise de l'intrus. Puis ensuite, la langue de plomb du protecteur de l'asile : une matraque avec au bout, un boulet de plomb monté sur ressort, le tout enrobé de cuir. Le coup a résonné comme le tonnerre et on a entendu un corps tomber au sol. Raide mort, le gardien l'a déposé à la morgue.

Depuis, je parle toujours avec une politesse infinie à la silhouette qui s'occupe du comptoir. Trop conscient de ce qui pourrait m'arriver si je venais à fauter.

« Les jeunes ! » Débute Vona en arrivant dans le hall, accompagnée de mon maître, Grimm.

Eux aussi ont adopté la mode mercenaire et ont ressorti de vieilles fringues résistantes et confortables. Comme d'habitude, la mentor d'Alessa a conservé la cravate noire qui ne l'abandonne jamais et Grimm arbore ses lunettes de soleil.

Les nécromanciens d'OstrieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant