Isaac
- Allô ?
- Isaac, t'es prêt ? Tout le monde t'attend.
- Ah oui...Je me rappelle soudainement que je devais sortir avec Andreas et Abel ce soir, mes deux meilleurs amis d'enfance et aussi mes deux seuls amis à ce jour. Andreas abuse toujours à dire « tout le monde » alors qu'au complet on est juste trois. Il veut simplement me faire culpabiliser.
- Je suis vraiment désolé, je reprends. Aujourd'hui j'ai envie de rester un peu seul.
- Ça va faire une semaine que tu nous dis ça, on va finir par s'inquiéter.
- T'es sûr que tu veux pas sortir ? C'est le dernier week-end avant ta rentrée en plus, ajoute Abel.
- Écoutez, je suis pas vraiment d'humeur. Mais si jamais vous voulez m'aider à ranger mon appart...Ils me raccrochent au nez. Je souris et range mon téléphone dans ma poche arrière. Ils sont du genre à m'aider dans n'importe quelle épreuve de ma vie, sauf celle-là. Mes deux seuls amis sont les frères que je n'ai jamais eus. J'ai connu Abel au catéchisme quand j'avais huit ans. Sa mère est comme une deuxième maman pour moi, d'ailleurs j'aurais aimé qu'elle soit la première. Andreas avait emménagé à côté de chez moi seulement un an après, et comme on habitait dans une résidence de vieux, on était un peu forcés à jouer ensemble. Puis je les ai tous les deux invités à dormir un soir et c'est à ce moment précis que s'est formé notre trio.
Ensuite, au fil des années, on a grandi ensemble. J'étais là la première fois qu'Andreas a eu le cœur brisé, j'ai aidé Abel à trafiquer ses bulletins de notes, au collège, quand il avait peur de les montrer à sa mère. Et eux, ils ont été présents toutes les fois où je me pointais à l'école couvert de bleus. Enfin, présents à leur niveau, genre des câlins et des paquets de bonbons, mais c'est quelque chose que je n'oublierai jamais.
On ne peut pas dire que j'ai eu une enfance merveilleuse, on peut même dire qu'elle était un peu nulle, je m'en rendais juste pas compte. Donc c'était plus facile, je crois. Et puis, j'ai grandi. J'ai compris que je ne méritais pas de subir tout ce que j'avais subi. Et soudain le monde m'a paru fade et sans couleur. Je voyais tout d'un autre œil et j'étais constamment déçu de la façon dont les choses se déroulaient, comment les journées commençaient et comment elles se terminaient.
C'est une partie de moi qui ne dérange pas Andreas et Abel, mais elle peut parfois les inquiéter. En particulier maintenant, deux jours avant que je fasse ma rentrée dans un établissement où ils ne feront pas leur scolarité. C'est vrai que je me pose quelques questions aussi. D'un côté, je n'ai pas trop envie que les autres me voient comme quelqu'un de hautain parce que je ne veux pas me mélanger. Mais d'un autre, des amis j'en ai et je n'en ai pas besoin de plus. J'ai toujours été comme ça : je ne veux pas passer pour quelqu'un de méchant, mais je n'aime pas que l'on vienne me parler pour autant, alors je fais en sorte d'être transparent. En gros, je suis le type le plus banal au monde, du moins d'apparence.
Enfin bref, de toutes façons je ne pense pas que cogiter changera la situation, et Dieu non plus on dirait, puisqu'Il a envoyé quelqu'un toquer à ma porte.
Un peu déprimé, je réfléchis avant d'aller ouvrir. Mais ça toque à nouveau. Je me lève et regarde la nuit tomber petit à petit sur moi comme une couverture toute douce, le silence règne et les étoiles apparaissent. J'aimerais bien savoir qui est la personne qui a réussi à me tirer du seul moment magique de ma journée.
J'ouvre la porte, et le regrette aussitôt : c'est ma mère.
- Bonsoir mon chéri.
Je la regarde droit dans les yeux et hésite à lui fermer la porte au nez, mais bon, ça reste ma mère.
- Salut.
- Tu ne me fais même pas entrer ?Un faux sourire se dessine malgré moi sur mon visage. Je m'écarte et lui fais signe d'entrer. Pleins de choses se bousculent dans ma tête, mais heureusement, avec le temps, j'ai appris à vachement me contrôler, ça m'a empêché de faire un tas de bêtises que j'aurais pu regretter.
- Pas besoin d'enlever tes chaussures, lui dis-je d'un ton calme. Je n'ai pas encore fait le ménage et tu ne vas pas rester longtemps.
- Comme tu veux.Les cheveux de ma mère deviennent de plus en plus blancs avec le temps et j'ai un peu honte de le dire mais ça ne me fait presque aucun effet. Cette femme ne m'a jamais donné d'amour quand j'étais enfant, elle l'a même remplacé par la haine et les coups. Et maintenant que je vis seul, elle débarque chez moi à la tombée de la nuit, comme si je lui manquais. Elle s'attend à quoi ? À ce que je sorte une bouteille de champagne et qu'on trinque à toute l'affection dont elle m'a privé ? Elle ne peut pas se vanter de la mère qu'elle est — ou plutôt de la mère qu'elle a été — et elle ne peut pas non plus se proclamer bonne chrétienne ; vous en voyez souvent, vous, des chrétiens qui ne connaissent pas l'amour ? En tout cas, c'est cool pour elle si Dieu lui a pardonné ses actes. Parce que ce ne sera jamais mon cas.
- Pourquoi t'es venue ?
- Je n'ai pas le droit de prendre de nouvelles de mon fils unique? répond-elle d'un ton gêné.
- Tu aurais pu me téléphoner.
- Tu ne me réponds jamais.
- C'est gentil d'être passée. J'ai beaucoup à faire avant ma rentrée.Elle me sourit tristement, reprend son sac qu'elle avait posé sur le plan de travail et se dirige vers la porte.
- Tu veux venir à l'église avec nous demain ? demande-t-elle timidement.
Je ne peux m'empêcher de rire ironiquement, ce qui la laisse deviner ma réponse.
- J'ai compris, dit-elle avant de doucement refermer la porte derrière elle.
Matthieu 6:14
Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi.
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Iris et Isaac
RomanceIris, une jeune fille tourmentée et introvertie s'occupe de sa petite sœur comme une mère après avoir été maltraitée pendant des années par son ancien beau-père. La tristesse et la rancune règnent dans son cœur. Elle ne croit pas que Dieu existe : s...