Chapitre 4 - Je viendrai à vous

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Isaac

Le réveil me fait le même effet qu'un coup de couteau. J'hésite à prendre le risque de louper toute mon année parce qu'à la rentrée je n'ai pas daigné me lever, mais bon, quand faut y aller, faut y aller. Je saute hors du lit, ouvre mes rideaux et aère ma chambre. Abel et Andreas m'ont souhaité mon anniversaire à minuit pour que je découvre leurs messages en me réveillant ; ils savaient que je dormais déjà à cette heure-là. Tu parles d'un anniversaire. Pile le jour de la rentrée. J'ai aussi reçu un message de la part de mes parents, mais celui-ci, j'ai décidé de l'ignorer.

Cette date n'a jamais vraiment été importante pour moi. Je n'ai jamais rien reçu de la part de mes parents parce qu'ils jugeaient que je ne le méritais pas, je n'ai jamais fait de fête... enfin bref, rien de très mémorable. La seule tradition qui me tient un peu à cœur, c'est le restaurant annuel avec Andreas et Abel. On parle de tout et de rien, on se fixe des objectifs qu'on n'atteindra jamais et surtout on mange comme des ogres, c'est un peu comme un nouvel an. Mais aujourd'hui, je dois me concentrer sur les cours. C'est pas une journée très importante à vrai dire, on va juste être beaucoup dans un amphi à écouter des profs parler de formalités. Mais cette fois-ci, j'ai envie de faire les choses bien. Pendant ma dépression, j'ai été incapable d'aller à l'école, donc j'ai arrêté et je suis parti travailler. J'ai vingt-deux ans maintenant, et j'ai envie de me reprendre en main. De prouver à mes meilleurs potes que je peux le faire et qu'ils ne m'ont pas soutenu pour rien.

Les yeux encore bouffis, je me débarbouille en vitesse avant de faire mon rangement du matin, c'est-à-dire faire mon lit, passer un coup sur le lavabo de la salle de bain et sortir les poubelles. Dans le local, je croise un monsieur assez âgé et petit de taille. Il me dévisage d'abord, de la tête aux pieds, et finit par me sourire.

- Bonjour.
- Salut mon grand. T'es matinal dis-moi, dit-il d'un air étonné.
- En fait, j'ai cours dans deux heures et demi. J'aime être en avance.
- Je vois. Tu es un perfectionniste comme moi !
- Surtout un grand anxieux, dis-je en riant.
- Je vais prier pour toi. Bon courage en tout cas.
- Merci beaucoup monsieur.

Il me sourit et s'en va vers son bâtiment, qui se trouve juste en face du mien. En y entrant, il me fait un dernier signe de la main. Si seulement tout le monde était comme lui, plein de bienveillance. Cette interaction m'a réchauffé le cœur, quelque part j'ai l'impression que c'est mon cadeau d'anniversaire. Il m'a donné ce petit espoir que tout ira bien et que je n'ai pas de quoi m'en faire.

Soudain, à mes pieds, j'aperçois ce qui s'apparente à une petite clé de boîte aux lettres, reliée à un porte-clés en forme de livre. Par curiosité, je le ramasse pour le regarder de plus près. Le monsieur a dû le faire tomber en partant. Il s'agit d'une mini Bible avec un système pour l'ouvrir et la fermer. Il n'y a que l'Évangile de Jean à l'intérieur, je me doutais bien que la Bible entière ne rentrerait pas dans un si petit livre. Je décide de l'ouvrir à une page au pif, juste histoire de voir.

Jean 14:18
Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous.

C'est mignon, même si je n'ai jamais eu de relation avec Dieu. Petit, je n'avais jamais envie d'aller à l'église le dimanche ou de lire mes livres chrétiens, même ceux qui étaient illustrés. D'ailleurs, c'est pour ça que mes parents me battaient autant. Abel, lui, il en avait pas envie non plus, mais ses parents ne l'obligeaient jamais. Souvent, il le faisait pour leur faire plaisir. Il me disait qu'il n'y croyait pas, que c'était impossible que les choses se soient passées ainsi à l'époque de Jésus, même si on avait la preuve qu'Il avait existé. Moi, je me suis jamais vraiment posé la question. J'étais trop concentré à canaliser ma colère, j'avais des bleus sur tout le corps et mon père des fois me faisait saigner du pif à me mettre des coups dans la tête. C'était aussi dur physiquement que psychologiquement, voire encore plus psychologiquement, parce qu'aujourd'hui les séquelles physiques sont parties mais je ne peux toujours pas regarder mes parents dans les yeux. Je ne sais pas si Dieu existe. Et s'Il existe, je sais pas si c'est Celui qu'on pense. En tout cas, s'Il a essayé de me faire venir à Lui par cette méthode-là, c'est qu'Il doit pas m'aimer beaucoup. Mais c'est vrai que le verset m'a mis le sourire. On peut dire qu'il tombe à pique. Même si c'est qu'une coïncidence, c'est cool.

En me posant dans le salon, je prends le temps de répondre à mes amis et regarde au plafond. Le temps semble passer vite, pourtant l'heure d'aller en cours n'arrive jamais. Je suis vraiment, mais alors vraiment en avance pour quelqu'un qui habite à seulement dix minutes en bus de la fac. Je me lève de mon canapé, fais le tour de mon appart... ma chambre est rangée nickel, il n'y a aucune poussière sur les meubles du salon, le plan de travail de la cuisine brille. Par contre, mon frigo est vide. Il est huit heures quarante-cinq. Ce soir, après les cours, je rejoins Andreas et Abel pour aller manger, donc je n'aurai sûrement pas le temps d'aller faire les courses. Après un calcul rapide dans ma tête, j'enfile mes vieilles AirForce déchirées, ferme toutes les fenêtres et attrape un sac cabas avant de claquer la porte.

Le supermarché du centre commercial est excessivement cher, mais il est juste à côté de chez moi et c'est aussi le plus proche de la fac. Je roule pas sur l'or, donc j'ai juste de quoi prendre quelques paquets de pâtes, des aliments congelés et un pack de Coca. C'est mon kit de survie. À la caisse, ma fatigue commence à se faire ressentir. Je regrette vite de m'être levé trois heures à l'avance alors que trente minutes auraient amplement suffi. En déposant mes articles, je remarque qu'une fille se trouve derrière moi. Elle porte un ensemble tailleur noir avec des Dunk. Ses cheveux sont remontés en chignon et de grosses boucles dorés pendent à ses oreilles. Elle est très jolie, mais ses yeux teintés de rouge me laissent deviner qu'elle a pleuré ce matin ; d'ailleurs, ils sont tout droit dirigés vers moi et je n'ai pas l'air d'être le bienvenu dans leur champ de vision.

- Je... j'étais là.
- Oh pardon, j'ai un peu la tête ailleurs, répondis-je en lui souriant. Vas-y, je t'en prie.
- Merci.

Elle passe devant moi et pose quelques stylos et critériums ainsi qu'un bloc-notes à petits carreaux sur le tapis de caisse.

- Un peu dernière minute, lui dis-je sur le ton de la rigolade.

Elle sourit en glissant ses achats dans son tote bag.

- Je sais, répond-elle timidement avant de gagner la sortie.



Psaumes 118:6
L'Éternel est pour moi, je ne crains rien :
Que peuvent me faire des hommes ?

Iris et IsaacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant