2010
- Iris ? Tu as entendu ?
- Rendors-toi Ezra. C'est rien.Iris sortit de la chambre qu'elle partageait avec sa petite sœur et descendit les escaliers, sans faire un bruit, accompagnée de son ours en peluche, serré contre le cœur. Elle avait déjà entendu maman se disputer avec Max à maintes reprises, mais jamais aussi fort. Elle entendait la vaisselle s'éclater contre les murs, les voix se briser de tristesse et de colère, chacun de leurs mots finissait par s'envoler et se coincer dans tous les recoins de la maison : entre le sol et la chambre des deux petites filles à l'étage, sur les escaliers, et à la hauteur d'Iris. Elle s'agrippait à Monsieur l'Ours, le seul qui la comprenait et qui restait muet avec elle. Et ils montaient la garde tous les deux, pour ne pas que les méchants mots des adultes finissent par trouver Ezra.
Mais ce jour-là, Max poussa violemment maman contre le mur et se dirigea vers les escaliers. Iris n'a jamais aimé la peur, et elle vit la peur arriver ; alors elle s'empara de ciseaux et rejoignit Ezra sous la couverture. Les pas de Max se faisaient de plus en plus lourds, on les entendait de plus en fort, et les battements du cœur d'Iris aussi. Elle se moquait des secondes, mais elles ne se sont jamais montrées aussi longues que cette nuit-là. Mais elle ne n'oubliait pas, c'était pour Ezra qu'elle devait combattre le monstre. Le voilà qui ouvre la porte et qui attend là, une bière à la main. Mais il devinait que les choses avaient changé par la respiration trop forte d'Iris. Il posa sa bouteille, et, de sa main gauche, il attrapa le col d'Ezra. De la droite, celui d'Iris. Elle sortit courageusement les ciseaux qu'elle avait cachés sous son oreiller humide de larmes, mais Max les saisit instantanément et les jeta au sol, laissant une trace sur le parquet.
Derrière lui se dessinait l'ombre anéantie de maman, et Iris la vit sourire et pleurer, partagée entre son devoir de mère, et ses émotions humaines. Il ne se passa pas plus d'une minute avant que la femme détruite et ses adorables petites filles apeurées se retrouvent devant la porte. Et comme il pleuvait, le sang perlait au rythme de la tempête sur les joues de maman. Elle avait les yeux bleus, mais Iris ne les aimait plus, elle n'y nageait plus. Elle s'y noyait, tant le bleu de ses yeux lui rappelait celui qui abîmait sa peau. Elle s'était dit que c'était dommage, d'en avoir ce ressenti-là, puisqu'elle ne pourrait sans doute jamais changer la couleur des iris de maman, sans même se dire qu'un jour, son corps si réconfortant ne sera plus recouvert des excès de colère de Max.
Après de longues heures de marche, maman prit ses enfants dans les bras.
- Ça va aller, faites-moi confiance. Maman va bien, tout va bien.
Elle embrassa le front d'Iris, porta Ezra qui tombait presque de fatigue, et emprunta un chemin enlacé de verdure. Et le temps soudain, pour la première fois, parut silencieux. Iris pouvait sentir le vent l'effleurer. Elle entendait les oiseaux chanter, c'était le petit matin. Elle était en pyjama, mais avait saisi rapidement ses chaussures avant que la porte ne se referme, et elle entendait maintenant les graviers parler sous ses semelles. Elle était dehors, alors qu'elle avait une maison. Elle avait marché, alors qu'elle était censée se reposer. Et dans quelques heures, Iris devait se rendre à l'école, mais la voilà devant une demeure en bois vêtue d'une croix, qui ouvrait ses bras si grand qu'elle aurait voulu y rester pour toujours. Elle était si belle et si simple, posée là comme un cadeau à la fin d'une nuit noire, comme maman qui marche à travers la douleur.
- Où est-ce qu'on est ? demanda Ezra.
- Nous sommes chez Dieu.
- Il ne va pas nous gronder d'être entrées sans sa permission ?
- On m'a toujours dit qu'Il n'attendait que nous.Iris savait que Dieu était là quelque part et qu'Il était le Père qui n'abandonnait pas. Elle s'allongea sur l'un de ces bancs, et regarda au plafond, lui qui était si haut. Et elle ne pût s'empêcher de penser que si elle avait eu le même chez elle, les mots de maman et Max auraient pu aller autre part que dans sa chambre, ils auraient pu presque atteindre le ciel et y rester. Pourtant, elle était contente d'avoir rendu visite à Dieu pour une fois. Elle s'était trouvée si touchée que les larmes finirent par couler de ses yeux, sans qu'elle ne puisse y faire grand-chose. Elles avaient l'air de célébrer ce dernier petit brin d'espoir qu'Iris avait en elle. Car dès lors qu'elle eut passé la porte, elle le vit renaître et grandir. Et elle se dit que le dernier brin était sans doute le plus puissant, puisque c'est dans la douleur qu'elle s'était vue si forte, dans le noir qu'elle avait trouvé si grande lumière ; et quand elle fût jetée de son propre habitat, cette maison, qui appartenait à Dieu, avait de la place pour elle. Elle voulait rester ici avec Lui, ou qu'Il vienne, là-bas avec elle. Elle avait froid, elle avait faim, elle était épuisée ; mais Iris détestait la peur, et à cet instant, elle n'avait pas peur.
Le cœur apaisé, elle avait déposé ses craintes devant la porte de Dieu, et elle s'était laissée tomber de fatigue dans Ses bras si accueillants. Elle appréciait ce silence si doux qui, sans un mot, lui disait que tout allait finir par aller mieux. Des bougies étaient disposées là de manière si gracieuse, et leurs flammes les consumaient. Mais elles n'avaient pas l'air tristes, elles n'avaient pas l'air de s'inquiéter du moment où elles allaient disparaître. Car leur fumée, elle, resterait là dans les bras de Dieu. Iris les contemplait avec admiration, car chacune de leurs petites lumières contribuait à en former une grande ; et elle le savait, c'était ici, sa vraie maison.
Jean 14:23
Jésus lui répondit : Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera ; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui.
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Iris et Isaac
DragosteIris, une jeune fille tourmentée et introvertie s'occupe de sa petite sœur comme une mère après avoir été maltraitée pendant des années par son ancien beau-père. La tristesse et la rancune règnent dans son cœur. Elle ne croit pas que Dieu existe : s...