Chapitre 3 - L'Éternel me recueillera

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Iris

On est dimanche. Ce qui veut dire que la rentrée approche à grands pas et que je n'ai toujours rien préparé. Je n'ai ni fournitures, ni horaires, ni amis, enfin à part Dyna. Dyna est une fille que j'avais rencontrée à l'arrêt de bus deux mois plus tôt. En fait on peut pas vraiment dire que c'est mon amie. Il a commencé à pleuvoir des cordes, une grosse tempête avait éclaté sur toute la ville et le bus n'était pas passé. Du coup, son père était venu la chercher. Il m'avait déposée en passant, mais c'était plus par pitié qu'autre chose. Durant le trajet, avec Dyna, on a juste eu le temps de se dire nos prénoms, nos âges et dans quelle université on allait faire nos études. On ne s'est même pas échangé nos réseaux sociaux ; j'étais tellement gênée que j'ai fini par sortir mes écouteurs et lancer Thinkin Bout You de Frank Ocean, au volume max.

Au moins, je sais que j'ai quelqu'un à qui dire bonjour. Mais le côté triste dans tout ça, c'est qu'il ne s'agit pas d'un problème présent uniquement à la fac. Je n'ai aucun ami.

En primaire, les gens me trouvaient bizarre, mais on ne peut pas leur en vouloir, personne ne se doutait de ce que j'étais en train de traverser.

Au collège, ils ont commencé à être plus gentils. Je m'étais même fait une amie : elle s'appelait Esther et elle adorait les animaux. Le problème, c'est qu'elle avait toujours eu tout ce dont elle avait toujours rêvé, ce qui n'était sûrement pas mon cas. Elle pouvait sortir quand elle le voulait, elle recevait toujours la somme d'argent qu'elle réclamait chaque semaine et elle faisait les meilleures fêtes d'anniversaire. Mais bon, elle a fini par se lasser de moi. Ma mère était stricte concernant les sorties, et elle était surtout très influençable. Donc quand mon beau-père lui ordonnait de faire quelque chose – même concernant notre éducation qui ne le regardait pas – elle s'y tenait sans réfléchir. Puis, je devais m'occuper d'Ezra. En bref, je n'ai jamais pu me rendre disponible pour Esther, et ça la rendait malade. Elle avait cramé que je me trouvais des excuses. Mais je ne pouvais pas lui parler de tout ça ! Elle aurait fini par trop s'inquiéter et prévenir l'infirmière du collège, qui elle aurait prévenu l'assistante sociale. Et on connaît ce genre de truc ; ils viennent chez toi à deux ou trois personnes, et ce régulièrement pendant quelques mois, histoire de vérifier si tout va bien ou pas. Mais si tout le monde joue parfaitement la comédie pendant cette longue et pesante période, en particulier les adultes, alors on considère qu'il n'y a rien à signaler et que la vie peut reprendre son cours. Si cela m'était arrivé, il ne m'aurait resté que mes larmes pour pleurer. On m'aurait sûrement fichue à la porte, sans habits et sans nourriture, avec Ezra dans mes bras. Et je ne pouvais pas prendre ce risque, pas tant qu'elle était en vie.

Au lycée, absolument chaque élève faisait partie d'un groupe de potes précis. Il y avait celui qui faisait toujours des soirées, celui qui parlait un peu trop sur tout le monde, celui des gens avec un bon style et de bons goûts musicaux... tout était un peu relié. Parce que parmi ces groupes, il y avait des liens : une personne du groupe A était amie avec une personne du groupe B et ainsi de suite. Au final, tout le monde finissait par connaître tout le monde et faisait partie de cette sorte de bande générale. Sauf moi. Je n'étais pas forcément détestée pourtant. On rigolait avec moi en classe, mes camarades me disaient bonjour le matin et complimentaient quelques fois mes tenues. Mais ça s'arrêtait là, parce que tout le monde appartenait déjà à une catégorie précise, et partait du principe que moi aussi. Mais ce n'était pas le cas. En réalité, j'ai passé toutes mes années de lycée à sourire et à discuter avec des gens qui ne me considéraient pas. Tous les soirs, je mettais mon casque et descendais les marches de l'établissement avec confiance, je leur faisais croire à tous que j'allais bien. Mais j'étais horriblement triste de ne pas avoir d'amis. C'est vrai, c'est pas comme si j'avais la volonté de les repousser. J'engageais même la discussion parfois, avant que le cours commence. Mais je ne pouvais pas les obliger à m'intégrer, ni même à bien vouloir être mes potes. Ça doit se faire naturellement normalement. Mais ça ne s'est jamais fait. Il faut croire que je suis faite pour rester seule.

Je ne me plains pas pour autant. Ezra m'a toujours aidée à tenir le coup. Par son innocence, sa force, et sa gentillesse si abondante. C'est une petite lumière au fond de ma maison, un petit bout d'espoir. Elle a seulement trois ans de moins que moi, mais j'ai parfois l'impression d'être sa mère tant la nôtre se montre absente. C'est le prix à payer lorsque l'on est l'ainé.

Bref. Je disais, on est dimanche, et je suis la personne la plus désorganisée de toute la Terre. J'attends toujours la dernière minute pour faire les choses. Demain, je vais devoir me lever plus tôt pour avoir le temps de passer au centre commercial et m'acheter quelques stylos, alors que ma rentrée est à seulement dix heures. Ma mère avait insisté pour acheter nos fournitures, elle avait même gardé un peu d'argent de côté, même si je lui disais que je pouvais me les payer seule grâce à mon boulot d'été. Au final, elle a tout claqué au Casino et dans l'alcool. Elle m'a rassurée en me disant que c'était pas si grave et qu'elle payerait mes fournitures le mois prochain, et n'ayant pas d'ordi, je suppose que je suis censée tout retenir de tête en attendant. Enfin, le plus important, c'est qu'elle ait eu assez d'argent pour acheter celles d'Ezra. Me concernant, c'est pas grave. Je peux le faire seule. Le point positif avec ma mère, c'est qu'on a toujours su se débrouiller sans elle, puisqu'on en a toujours été contraintes. Ma mère est comme une enfant qui a décidé d'avoir des enfants qu'elle pouvait abandonner quand ça lui chantait, un peu comme des jouets. Dommage pour nous qu'on puisse éprouver des choses.

Je décide de me bouger un peu, parce que le temps passe et que je suis toujours assise par terre dans ma chambre à me demander quelle est ma véritable voie, mais je ne le saurai jamais si je continue à ce rythme. Je fais mon sac en speed, j'y mets mes écouteurs, mon chargeur, mes clés, ma carte de bus et ma carte bancaire, des mouchoirs et des bonbons à la menthe. Je change mes draps, aère ma chambre et passe l'aspirateur. Soudain, l'écran de mon téléphone s'allume. Une notification apparaît. Étant donné que j'entends ma mère ronfler au salon de là où je suis et que je n'ai pas d'amis, je me demande qui pourrait bien vouloir prendre de mes nouvelles la veille de ma rentrée. Je passe un dernier coup de chiffon sur les vitres et le banc en dessous de ma fenêtre avant de saisir mon portable.

Verset du jour

Psaumes 27:10
Car mon père et ma mère m'abandonnent,
Mais l'Éternel me recueillera.

Je fronce les sourcils, surprise. Pourquoi est-ce que je reçois un verset de la Bible alors que je ne suis même pas chrétienne ? Je réfléchis une seconde et me rappelle que mon téléphone est l'ancien téléphone d'Ezra. Le mien était vraiment vieux, et quand j'ai pu m'en procurer un nouveau, j'ai préféré le lui offrir. Alors j'ai récupéré le sien, il était déjà plus récent. De toutes façons, elle en avait plus besoin que moi : elle a des amis, elle au moins.

- Ezra ? je m'écrie en espérant qu'elle m'entende depuis sa chambre.
- Ouais ? répond-elle en s'écriant tout autant.
- T'avais téléchargé l'application de la Bible avec le tel que tu m'as passé ?
- Bah ouais par curiosité, pourquoi ?
- Je viens de recevoir le « verset du jour », c'est la première fois que ça m'arrive.
- Bizarre, j'avais supprimé toutes mes app avant de te le donner pourtant.

Je déverrouille rapidement mon portable et me retrouve sur la page d'accueil. La Bible est là, juste à côté de Safari, dans l'onglet des icônes principales. C'est étrange que je ne l'aie pas remarquée plus tôt. J'appuie longuement dessus et clique sur « Supprimer l'app ». Fini les notifications qui me donnent, l'espace d'une seconde, l'espoir que quelqu'un pense à moi.



1 Jean 4:16
Et nous, nous avons connu l'amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est amour ; et celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.

Iris et IsaacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant