Partie 10

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Personne au village ne fut informé de la décision de deux jeunes gens de partir à la recherche de Thomas Colville. De leur côté, Monsieur le maire et le Père Salomon avaient longuement discuté de la situation. Jamais Tintecloche n'avait connu de meurtre. La nouvelle fit l'effet d'une bombe et le Père Salon ainsi que Monsieur Norbert décidèrent de rassembler tous les villageois à l'église. La haine avait envahi le cœur de chacun. Le curé du village dut se montrer très patient et persuasif pour calmer tout le monde.

De leur côté, Caleb et Juliane avaient été chercher deux capes en cuir huilé pour se protéger de la pluie et s'étaient rendus au moulin de Monsieur Boncoeur. Ils avaient bridé et sellé la jument Susy avant de se mettre en selle et de prendre le trot en direction des bois. A l'église, nous ne nous rendîmes pas tout de suite compte de la disparition de la fille du boulanger et du protéger du curé et quand ce fut le cas, il était trop tard pour lancer un groupe de personnes à leur recherche.

Caleb et Juliana s'enfoncèrent dans les bois. En ce premier jour de Novembre, les arbres nus semblaient s'arquer sur eux même tel des mains aux longs doigts se refermant sur les deux jeunes gens. Il pleuvait légèrement et les feuilles mortes, légères touches de couleurs dans tout ce gris, tapissaient les sentiers et rendaient l'orientation délicate. De plus, les épais nuages gris qui se vidaient d'eau ne permettaient pas aux deux aventuriers de s'orienter avec les étoiles. Caleb et Juliane s'orientèrent donc en fonction de leur instinct. En réalité, ils ne savaient pas vraiment où chercher. A priori, les spectres avaient sans doute relâché Thomas, mais où exactement ? Après une courte réflexion, l'option la plus logique fut aux abords des tombeaux, au nord de la forêt. Caleb mena donc la brave jument du meunier dans cette direction.

Susy trotta bravement sous la pluie, tête basse et rentrée dans le poitrail pour protéger ses yeux. Le vent s'était levé, soufflant avec colère entre les branches qui se courbaient sous sa puissance. Juliana était montée en croupe, solidement agrippée à Caleb. Tous deux avaient rabattus les capuchons de leur cape pour se protéger des intempéries. La luminosité commençait à décliner et Caleb doutait de plus en plus de la réussite de leur mission. Graduellement, le vent se tut et les bois tombèrent dans un lugubre silence. Pas un oiseau ne chantait, pas un renard ne sortait le bout de son nez... Tout était calme. Seul le pas de Susy dans les feuilles mortes se faisait entendre. Le silence était tellement prononcé que même Caleb et Juliana n'osaient respirer à plein poumons. Aux aguets, les deux jeunes gens attendaient.

Puis la bruma monta du sol en voluptés épais autour d'eux. La jument releva vivement la tête, mâchouillant son mors avec nervosité, trottinant, tête haute, sur l'œil. Juliana avait instinctivement resserré son emprise sur Caleb et ses ongles meurtrissaient la peau du jeune homme qui n'osait rien dire. Tout en maitrisant du mieux qu'il pouvait Susy, il gardait tous ses sens en éveil, prés à fuir au moindre danger. Il faisait de plus en plus sombre, il devenait impossible de distinguer à plus de trois mètres devant eux. Le silence était toujours roi dans les bois et la brume semblait renvoyer aux deux jeunes aventuriers les bruits saccadés de la respiration de leur jument, du grincement des dents sur le mors, de son pas lourd sur les feuilles... Il faisait de plus en plus sombre, le monde semblait se figer. Caleb tira sur les rênes et stoppa la jument, balayant les alentours d'un regard anxieux.

Soudain, un grognement s'éleva comme sortit du fond des âges, faisant trembler la terre, les arbres et le ciel. Un grognement si terrifiant et puissant que tout l'univers semblait vibrer dans son écho.

Prise de panique, Susy se cabra une première fois. Caleb agrippa fermement la crinière noire de la jument d'une main pour se maintenir sur son dos ; de l'autre, il tentait de tenir Juliana coller à son dos. La défense de la jument ne dura qu'une seconde mais Caleb sentait tout son corps frémir de peur. Elle se redressa sur ses postérieurs, se grandissant en envoyant les antérieurs vers ce grognement terrifiant qui ne semblait pas vouloir cesser. Puis Susy s'affaissa sur elle-même, perdant l'équilibre. Tout son corps bascula en arrière, ses postérieurs se dérobèrent sous elle. Caleb s'éjecta à temps, entrainant sa petite amie avec lui. Tous deux roulèrent dans les feuilles mortes tandis que la jument s'effondrait. Il n'y eut qu'un bruit mat, pas un hennissement, un simple petit craquement, rien de plus. La jument resta inerte au sol. Caleb et Juliana restèrent quelques secondes allongés face contre sol avant de se remettre sur pied. Par chance, aucun des deux n'avaient été blessé. Le grognement s'était tut, Juliana tremblait de tous se membres. Puis ce fut Leurs murmurent qui s'élevèrent dans les bois. Le cœur de Caleb battait si fort qu'il raisonnait dans sa tête : « Ils arrivent. »

En une poignée de seconde, le jeune homme imagina un plan. Il saisit la main de sa belle et l'entraina à sa suite à toutes jambes à travers les bois, soulevant un tourbillon de feuilles fauves sur leur passage. Les deux jeunes gens courraient aussi vite qu'ils le pouvaient, au hasard, slalomant entre les arbres. Caleb agitait la tête en tous sens à la recherche d'un arbre à sa convenance. Enfin, le jeune homme arrêta son choix. Il attrapa Juliana par la taille et l'aida à monter sur la branche la plus basse : « Grimpe ! Grimpe ! » lui ordonna-t-il. La fille cadette Bedain se mit donc à grimper le long du tronc massif. Caleb en fit autant tout en l'encourageant. Quand ils ne purent plus aller plus haut, ils s'assirent sur une branche, le dos collé conte le tronc le souffle court : « Ils ne monteront pas jusque là... » souffla Caleb, plus pour se persuader lui-même qu'autre chose.

Puis les murmures se transformèrent en long soupir d'outre tombe et Ils apparurent : squelettiques, désincarnés, abominables... Ils sortirent de la brume, clopinant comme Ils pouvaient à travers les arbres, s'agglutinant autour du tronc où étaient montés les deux jeunes gens. Juliana se réfugia dans les bas de Caleb qui ne cessait de murmurer : « Ils ne monteront pas... Ils ne monteront pas... Ils ne monteront pas... » et Ils continuèrent d'avancer, de plus en plus nombreux, masse blanche et bleutée de spectres venus du fond des temps pour venger leur mort. Caleb ferma les yeux, se cacha dans le cou de Juliana, respirant à plein poumons l'odeur de ses cheveux, comme si c'était la dernière fois qu'il pourrait faire cela.

Puis, il y eut un cri, bien humain. Caleb rouvrit les yeux et fut stupéfait de ce qu'il vit. En contre bas, les spectres faisaient place nette à un homme tenant bien haut une torche flamboyante : « Reculez ! Créatures du Diable ! » La torche semblait terroriser les êtres de l'au-delà qui s'écartaient en poussant des jappements semblables à ceux d'un chien. A son tour, Juliana tourna la tête vers l'étranger et reconnut sur le champ Thomas Colville qui agitait sa torche devant les spectres pour les faire reculer. Les spectres n'avaient effectivement pas emmené Thomas dans les catacombes. Une fois ce dernier relâché aux portes des tombaux, il était resté toute une journée assis dans la boue, aussi inerte qu'une statue de marbre. Personne ne sait toutes les émotions qui se sont bousculées dans la tête du jeune homme : même Thomas n'avait pas été capable d'expliquer ce trouble qui l'avait envahi. Il s'était crut perdu quand les spectres l'avaient emmené. Il avait fait le deuil de lui-même, acceptant la mort avec résignation. Mais Ils n'avaient rien fait et l'avaient laissé là, seul et bien vivant. Dans un premier temps Thomas s'était prostré, incapable de savoir ce qu'il devait faire, s'il devait pleurer ou hurler de rage. Il repensait à son père, au sort qui lui avait fait subir ; puis, à lui-même, son enfance et tous les coups qu'il avait reçu. En tuant son père, il s'était rabaissé au même rang que lui : incapable de réfléchir, il s'était laissé aller à la simplicité : la violence. Le jeune Colville était donc resté ainsi, perdu en lui même de nombreuses heures. Ce n'est que quand la nuit était tombée qu'il était sorti de sa torpeur. Il avait donc arpenté les bois, sans trop savoir où il était et finalement, était tombé sur cette scène. Thomas n'avait pas hésité une seule seconde en voyant Juliana terrorisée sur sa branche avec Caleb. Il avait ramassé une branche, déchiré un ruban de tissu dans sa chemise maculée du sang de son père et l'avait allumé avec deux silex. Instinctivement, il savait que le feu ferait fuir les spectres.

Les spectres avaient donc fait place nette à la vue du feu. Thomas était resté toute la nuit, luttant contre la fatigue, agitant sa torche autour de l'arbre pour tenir à distance les abominables créatures. Quand le jour se leva, comme dans un mirage, les spectres se volatilisèrent en gémissent. Alors là, seulement, Thomas se laissa tomber au sol, mort de fatigue.

Tintecloche, le village maudit (histoire courte 12205 mots)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant