CHAPITRE 5 Lundi 10 janvier 1977

12 1 2
                                    

- Edward ? Est-ce que tout va bien ?

Le son de la voix de ma professeure m'avait ramené à la vie réelle. Quand je regarde autour de moi, tout les autres sont déjà sorti de la classe pour aller jouer dans la récréation. J'ai toujours dans la main le crayon avec lequel je gribouillais jusque-là machinalement sur un carnet devant moi. Evidement, je ne vais pas bien. Depuis que maman n'est plus là, c'est la catastrophe à la maison.

Wayne maintient papa à bout de bras, papa maintient sa bouteille a bout de bras, et moi je maintiens mon enfance à bout de bras. Les moqueries à l'école se sont amoindries, cela étant dit. La plupart des autres ont été prévenu par notre professeure et lorsque je suis revenu, une carte signée de la part de ma classe m'attendais sur le bureau. J'avais apprécié le geste, mais il n'avait pas amoindri ma peine, ni celle de ma famille.

Heureusement la famille Flowers prenait soin de moi. Ils m'emmenaient et me récupéraient en même temps que Jeff à l'école et faisaient toujours en sorte de ramener de la nourriture à la maison. La mère de Jeff aidait Wayne à faire le ménage dans la maison et son père, lui, me faisait faire un peu de boxe de temps en temps dans un vieux sac de frappe qui trainait dans le garage. Il disait que j'avais besoin de me défouler et d'évacuer la haine.

Selon les autres, ce n'était pas normal de ne pas pleurer, de ne pas la réclamer. A mon âge, selon eux, je ne pouvais pas comprendre et accepter la situation. C'était le cas pourtant. Maman m'avait préparé à son absence. Elle ne voulait pas me laisser candide dans un monde où elle ne serait pas là pour me protéger alors elle m'avait fait comprendre ce qui allait arriver et ce que ça impliquait.

J'étais prêt à cette situation, et surtout je savais, du haut de mes 10 ans, que pleurer et crier n'y changerai rien. Mais quand même, frapper dans ce sac me faisait du bien, le père de Jeff avait raison. Il m'avait montré une ou deux techniques de défense, et comment mettre un beau crochet du droit à son adversaire (dans un cadre sportif, bien évidemment.)

Ces moments étaient presque agréables. Je me sentais comme tous les petits garçons de la ville et non plus comme celui qui était un « orphelin de mère » comme j'avais entendu la caissière de l'épicerie. J'aimais aussi l'idée d'apprendre à me défendre et défendre ma famille.

Dans d'autre circonstance, papa aimerai beaucoup ça. J'attends le bon moment avant de lui en parler. J'espère qu'il viendra assister à nos séances. Quand je serais prêt, je ferais en sorte qu'il soit fier de moi et de mes progrès en la matière. Je suis meilleur en guitare, cela dit.

***

Un après midi, alors que l'on attend que Mme Flowers vienne nous chercher avec Jeff, un petit groupe se dirige alors vers nous. Ils sont un peu plus âgés que lui, mais bien plus jeune que moi. Ils sont tout de même plutôt grand pour leur âge, et au vu du regard qu'ils jettent à Jeff, j'ai de sérieux doute sur le fait qu'ils soient amis. L'un d'eux, qui à l'air d'être le petit meneur, rigole fort et roule des épaules. Je mise mes deux mains que ce mec est un petit con arrogant.

- hahaha, ricane-t-il en pointant Jeff d'un mouvement de tête, Regardez-le, il a dit qu'il aimerait faire du basket quand il serait grand. Mon père dit qu'il aurai plus sa place dans un cirque. Alors Jeff, tu veux finir dans un cirque ? En tout cas, pas la peine de t'inscrire au basket.

- Bah tu peux dire à ton père d'aller se faire voir, je lui réponds instantanément.

Jeff, tout en baissant la tête, me serre le bras. Il aurait préféré que je me taise, je crois, mais je n'aimais pas l'injustice et si lui ne pouvait pas se défendre, alors c'était mon devoir de le faire à sa place. Après tout, c'est comme si l'on était de la même famille. Je le considère comme mon petit frère.

Le petit blondinet, qui me fait maintenant face, sert le poings et fronce très largement les sourcils. Son visage jusqu'à présent angélique s'était physiquement transformé à l'instant même ou il avait changé d'expression. Il ressemblait maintenant à un véritable petit démon. Je pense qu'il devait avoir 9 ans, un truc comme ça, mais quelque chose me disait qu'il était tout à fait apte à en découdre. Arrogant, c'était certain, mais également susceptible.

- Qu'est-ce que tu viens de dire, le bizarre ? Tu crois que tu me fais peur parce que tu es plus grand ?

- Et qu'est-ce que tu vas faire alors, courir voir ton papa pour qu'il vienne te défendre contre les méchants qui t'embête ?

Jeff me serre une nouvelle fois le bras.

- Laisse tomber Eddie, s'il te plait. Murmure-t-il

- Je te casserais toutes les dents avant ça. Comme ça, tu seras doublement puni. Espèce d'idiot. Est-ce que tu sais au moins à qui tu parles ? Ricane le blond.

- Non et je m'en fou, dégagez d'ici et laissez Jeff tranquille, sinon vous aurez affaire à moi. Je lui réponds avec mon regard le plus noir possible.

Toute la petite bande rigole de nouveau, Jeff enfonce encore plus sa tête dans son menton. La vache, ces enfants sont vraiment sans gêne.

Une voiture super classe se poste alors devant nous et claxonne, couleur Camel, vitre teintée et toute la panoplie qui montre aux autres que tu as les moyens de t'acheter une voiture excessivement chère. La vitre se baisse et une dame blonde, le même blond solaire que le petit garçon, très apprêtée, apparaît sur la banquette arrière.

- Jason, je peux savoir ce que tu fabrique ? Dépêche-toi de monter, on est en retard, tu dois t'entrainer aujourd'hui. S'impatiente-t-elle.

- J'arrive maman ! puis il se retourne. Tu as de la chance, le bizarre, on ne te fera pas ta fête aujourd'hui. Mais si tu me parle encore une fois sur ce ton, tu auras mon poing dans la figure.

Sans même attendre une réponse il nous tourne alors le dos et monte dans la voiture de sa mère avec ses deux copains. Des enfants de riches, sportifs : le combo gagnant des idiots de l'école.

- Jeff, il faut vraiment que tu apprennes à te défendre, tu peux pas laisser ces types te parler comme ça, Je grogne alors dans sa direction.

- C'est Jason Carver. Sa famille est super riche et font des gros dons à l'école. Je ne veux pas de problème avec lui, il va me faire vivre l'enfer sinon. - Carver ? C'est un nom d'idiot de toute façon. Même s'ils ont de l'argent, ça ne leur donne pas le droit de s'en prendre à toi.

- C'est exactement le droit qu'ils ont. Ecoute, je suis différent, je le sais, et papa et maman m'ont appris à faire avec. On ne peut pas se battre contre ces gens-là, et ce serai idiots d'essayer. Maman m'a même déjà raconté l'histoire de ma cousine, Gloria, qui a été obligé de faire des expériences sur elle pendant ses études, parce qu'elle était une femme noire.

- Des expériences ? C'est complètement idiot !

- Oui, c'est idiot.

Je n'aimais pas l'idée que ce petit emmerdeur puisse s'en prendre à ceux qui étaient différent de lui sans qu'on le réprimande. C'était donc ça, la justice et la société ? C'est franchement naze. 

EDDIE THE FREAKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant