Un maître

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Lorsque Sao rejoignit l'intendante au rez-de-chaussée, celle-ci acheva de lui faire faire le tour du propriétaire. Elle lui indiqua rapidement le grand salon, la salle à manger et le jardin d'hiver ; autant d'endroits qu'il fréquenterait assez peu, sauf peut-être pour quelques tâches d'entretien des systèmes de chauffage ou d'éclairage.

L'essentiel de la visite fut consacrée à la cuisine. Cette pièce immense était carrelée du sol au premier tiers du mur et servait aussi de salle de repos pour le personnel. Un complexe système de clochettes et de sifflets à vapeur était relié aux différentes pièces de la maison, permettant au maître de solliciter les services des domestiques à tout moment. Sao était comme hypnotisé par les petits objets de cuivre luisants, les tuyaux qui disparaissaient dans les murs après les avoir parcourus dans un enchevêtrement de métal. Madame Rouva lui en expliqua le fonctionnement, sans prendre le temps de s'assurer que l'esclave arrivait à suivre son débit de parole, et Sao se contenta de retenir qu'il devait se présenter au lieu indiqué lorsqu'on le lui dirait, que ce soit de vive voix ou via ce système d'alarme. Les clochettes correspondantes à la pièce d'où venait l'appel étaient marquées par un symbole en plus d'un nom en toutes lettres, ce qui l'arrangeait bien puisqu'il ne savait pas lire.

« Encore une chose à laquelle nous devrons remédier », avait dit madame Rouva avec un claquement de langue agacé lorsque Sao lui fit part de ce problème.

Sao ne savait pas trop en quoi lire pourrait bien lui être utile pour servir son nouveau maître, mais il se réjouissait d'avance d'acquérir cette nouvelle compétence, dont l'apprentissage était refusé à la majorité des esclave uriés.

L'intendante lui expliqua que tout le personnel prenait ses repas ensemble en cuisine et que, pour simplifier l'organisation de l'emploi du temps, il serait autorisé à manger en même temps que les autres.

« Trois repas par jour, à cinq heures, onze heures trente, et dix-huit heures », lui dit-elle.

Sao s'étonna que le maître mangeât si tôt, mais avec un sourire indulgent, l'intendante lui fit remarquer que la domesticité mangeait avant monsieur Archenias, pour ne pas bâcler le service. Cela lui sembla une excentricité particulière, mais il se dit qu'il n'avait jamais côtoyé le personnel libre d'une maison. Peut-être que seuls les esclaves de main d'œuvre mangeaient les restes une fois que tout le monde était couché.

Alors que Sao admirait les casseroles de cuivre suspendues au mur, une jeune femme d'une vingtaine d'années à la peau ébène et aux longs cheveux coiffés en fines tresses entra par la petite porte qui donnait sur le garde-manger. Elle avait les bras chargés d'un sac de tubercules.

« Oh, dit-elle en voyant Sao et madame Rouva, il me semblait bien que vous étiez rentrée ! »

Elle déposa ses tubercules sur le plan de travail et tendit une belle main fine à l'esclave. Celui-ci jeta un regard hésitant vers l'intendante avant de serrer la main de la jeune femme d'une poignée faible.

« Bienvenue, dit-elle avec un grand sourire. Je suis Emeris, c'est moi qui suis en charge de la cuisine. »

Elle relâcha la main de Sao et celui-ci la regarda, la bouche béante, incapable de savoir comment il était censé se comporter dans une telle situation. Emeris émit un léger rire et ce fut la vieille femme qui prit la parole.

« Merci pour cette introduction, je vous présente Sao. Il n'est pas très habitué aux usages de notre maisonnée.

— Pardonnez-moi, bafouilla l'esclave. Je suis honoré d'être au service de cette maison, madame.

— Tu ne vas pas m'appeler madame ! s'exclama la jeune femme en nouant ses tresses en un chignon. Tu peux m'appeler...

— Mademoiselle Emeris, coupa l'intendante, cela conviendra très bien. »

La dernière province - 1. Le manoir ArcheniasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant