Leçons

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Ortweitstark, capitale de la Province Mère

An 732 de l'ère Fréane

Madame l'Administratrice en cheffe de la Province 23,

Je me permets de vous faire part de mon inquiétude quant à l'application du décret pour l'assimilation culturelle (n° D524-13) qui fait partie du processus habituel de colonisation. Il me paraît délicat en l'état actuel des choses de mettre en œuvre une telle mesure à l'échelle où nous l'espérions et avec les méthodes que nous avons évoquées lors de notre dernière assemblée.

La Province 23 étant la dernière intégrée à l'empire de Fréane, il me semble difficile d'espérer en effacer toute trace de barbarie dans les délais proposés par votre administration. Comme pour les vingt-deux provinces avant lui, ce territoire doit être intégré avec douceur au reste de l'empire. Le temps a toujours été notre meilleur allié en ce qui concerne nos politiques d'intégration. Nos prédécesseurs ont démontré à quel point la robustesse et la constance de notre système d'administration ont permis l'extension sûre et durable de l'empire, pérennisant les conquêtes passées de nos glorieux empereurs et impératrices. Je l'ai évoqué en séance, punir systématiquement tout emploi de son ancien nom et toute pratique culturelle indigène me paraît une tâche laborieuse, vaine, et surtout extrêmement coûteuse. Les natifs de la Province 23 font preuve d'un caractère rétif et pugnace, une opposition trop ferme risquerait d'être contre-productive.

L'ancienne nation de Kalta – je me risque à inscrire ici ce nom proscrit – se fondra dans Fréane pour devenir la Province 23 par l'emploi systématique par nos institutions de sa nouvelle appellation et, surtout, par la force de notre patience. C'est ainsi que nous avons toujours procédé, avec le succès que nous connaissons. N'oubliez pas que le Grand Esprit a désigné notre empire pour qu'il soit la mère de tous les peuples, et la vertu principale d'une mère n'est-elle pas de se montrer patiente avec ses enfants ?

Mes plus sincères et respectueuses salutations,

Markus Listig-Feigel

Secrétaire au Conseil des Peuples


Leçons

Lorsque l'alarme retentit, la lucarne de la chambre de Sao ne laissait encore entrevoir aucune lueur. La lumière rouge dans la pièce lui parut étrange alors qu'il ouvrait les yeux et tentait de se rappeler où il était. L'enchère, madame Rouva, la petite chambre, Archenias... Les éléments s'accordèrent à nouveau dans son esprit et il sauta de son lit. Il enfila les vêtements qu'il avait laissés la veille sur la petite table, et refit son lit avec soin. Rien ne devait lui être reproché.

Il passa en vitesse dans la salle d'aisance pour vider sa vessie, revint à son lavabo pour se laver les mains et le visage, puis descendit les escaliers de service le plus discrètement possible. Lorsqu'il poussa la porte de la cuisine, il ne fut pas surpris de trouver Emeris qui fredonnait en préparant le petit-déjeuner du maître, tandis que madame Rouva, tirée à quatre épingles, disposait le couvert pour le repas des domestiques.

Elle sembla presque étonnée de le voir, mais ne fit pas de commentaires.

« Bonjour mesdames, dit-il de sa voix la plus humble et polie.

— Bonjour Sao ! répondit Emeris avec un grand sourire. Alors, cette première nuit ? »

Un peu désarçonné par cette question simple et qui semblait sincère, Sao bredouilla une réponse maladroite. Emeris ne sembla pas remarquer sa gêne, ou bien choisit de l'ignorer, et entreprit d'expliquer en détails tout ce qu'elle avait prévu de cuisiner pour la journée. Ses tresses avaient été rassemblée en un chignon qui rebondissait à chaque mouvement enthousiaste et ses joues brunes étaient légèrement rosies par les vapeurs de cuisson.

La dernière province - 1. Le manoir ArcheniasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant