Héritière de l'aube {En pause}

Chapitre 10 : Souvenirs d'une vie qui n'est pas la mienne

-Comment vont tes plaies?

La voix d'Isen me réveille. Mes yeux s'ouvrent délicatement et mon corps frissonne. Les matinées ici sont parfois fraîches, et l'hiver arrive bientôt. Je ne sais pas si les saisons fonctionnent réellement ici, mais je suis certaine que ma tunique ne me suffira plus dans quelques semaines. 

Je réalise cette idée qui me passe par l'esprit, Basil ne vient pas me voir et je ne sais toujours pas ce qu'il souhaite faire de moi. Peut-être que je resterai encore des mois dans cette cellule, mais cette idée me paraît impensable.

-Corie ?

J'avais presque oublié sa demande. Mes yeux se décollent et j'observe immédiatement mes bras. Une sensation de soulagement intense et de surprise fulgurante me parcourt. 

Mes cicatrices se sont presque entièrement résorbées, je sens mon corps bien plus libre de la douleur. Je passe un doigt légèr sur la trace blanchâtre qui recouvre mon poignet. Il n'y a plus de sang, seulement quelques traces séchées sur ma peau.

-Mieux. Bien mieux, merci.

Il ne répond rien et se contente de glisser une assiette de soupe chaude à l'intérieur de ma cellule. J'ai l'impression que les dieux sont de mon côté, mais je trouve cela bien étrange que l'on me traite avec plus d'humanité depuis hier soir. Isen semble être une légère lueur d'espoir dans ma cage en pierre humide et insalubre. 

Je déguste cuillère après cuillère ce doux liquide qui ravit mes papilles. Jamais ce goût n'a atterri sur ma langue, je peux le jurer, ce velouté ne ressemble en rien à ce que j'ai pu manger sur le continent. Cela me fait particulièrement étrange de considérer que je n'y suis plus, que je fais partie d'un autre monde. 

C'est surréaliste, mais malheureusement tout porte à croire que la vérité est douloureuse. Je maîtrise la magie, même si elle ne m'est plus accessible aujourd'hui, sûrement, à cause de ces stupides chaînettes. Une heure plus tard, je suis assise dans mon coin habituel, le plus prêt de la fenêtre qui me permet d'avoir un peu du souffle du vent sur ma nuque. Je me surprends à songer à cette voix mystérieuse qui était entrée dans ma tête lorsque Lycia me torturait, je ne l'ai jamais entendu auparavant. 

Du moins, elle ne fait pas partie des quelques souvenirs en ma frêle possession. Mais elle m'avait guidée. Se pourrait-il que je devienne folle et que la voix féminine et douce qui n'arrête pas de remuer dans mon esprit soit la mienne? Je n'ai pas la réponse et malheureusement, j'ai l'impression de divaguer en permanence. Mon corps est faible, mais toujours moins que mon esprit. J'ai perdu du poids, mes cheveux empestent et mes vêtements sont en lambeau, le peu qui reste est noir à cause du sang séché.

-Tu peux le faire, Corie.

Ma tête zigzague autour de moi, mais il n'y a personne. Je reconnais cette femme qui m'a parlé. C'est cette majestueuse reine que mes souvenirs m'ont montrée, ma mère. Mais elle n'est pas ici, alors pour quelles raisons et par quelle magie surtout, je l'entends. 

Une idée me vient à l'esprit, ce pourrait être un tour de Lycia ou de Kelen, tous ces rêves et ces souvenirs pourraient être simplement une illusion qui me ferait croire à ce que je ne suis pas réellement. Ce serait plausible et cela me permettrait de reprendre ma vie, je ne veux pas être une princesse ou je ne sais quel titre grotesque.

-Tu es capable de le faire, concentre-toi.

Arrête. Je t'en supplie, sors de ma tête. Mes mains viennent s'aplatir contre les deux côtés de mon crâne, mais tout commence à s'embrouiller. Je ne contrôle plus rien, mon corps, mon esprit, ma vie, tout est flou. Mon regard se disperse jusqu'à retrouver un point d'ancrage sur une parcelle apparente de la peau sur ma cuisse.