Chapitre 2.1 - Weston

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Je peine à me garer devant la villa de Franck. Toutes les places de parking sont prises et de gros panneaux interdisent de marcher sur la pelouse. Une clope aux lèvres, j'effectue un tour du pâté de maisons, puis un second. Putain, ce con parlait d'une petite soirée. Mon œil, ouais. Il y a bien une cinquantaine de personnes amassées dans son jardin. J'imagine déjà l'état de sa baraque, au lever du jour. Je mets ma main à couper qu'il regrettera d'avoir invité autant de monde, surtout quand il faudra nettoyer.

J'observe la scène depuis le siège de ma Kawasaki ninja tout en me demandant si je fais bien d'entrer là-dedans. Une bonne partie des étudiants présents n'ont pas la moindre envie de me croiser et c'est réciproque. Si j'avais eu un plan B, j'aurais créché ailleurs. Manque de bol, je loge ici le temps de récupérer les clés de mon appart. Si un jour on accepte de me les rendre...

Quelle merde ! Je préférerais mille fois me trouver chez moi, plutôt qu'ici. Mais, tant que je ne rembourse pas mon loyer de retard, je suis bon pour rester chez Franck. Il est le seul à ne pas m'avoir tourné le dos après ce qui est arrivé. Depuis qu'il a terminé ses études, l'année dernière, il se contrefiche de ce qui se dit à l'université et je lui en suis reconnaissant. Lui, au moins, n'a pas gobé le ramassis de mensonges que les autres hockeyeurs lui ont servis.

On te retrouve sur un parking en compagnie d'un mec inconscient avec qui tu t'es pris la tête, et voilà comment tu finis avec une suspension de ta bourse et une exclusion de l'équipe des Huskies. C'est une mesure temporaire, il paraît, juste pour calmer les esprits. Mouais... tout le monde sait que, dans le domaine du sport, temporaire signifie pour toujours. Personne n'oublie ce genre de fait divers.

De toute façon, cette histoire ne s'arrêtera pas là.

Je remonte mon casque sur mon crâne pour m'essuyer le coin de la bouche d'un revers de la main. Le goût métallique présent sur ma langue refuse de disparaître malgré les cigarettes que j'enchaîne. À l'aide du rétro, je vérifie si du sang coule encore de ma commissure, mais dans la pénombre, je n'aperçois pas grand-chose.

Un long soupir s'échappe de mes lèvres tandis que je m'allume une clope. J'inspire une première bouffée, puis crache la fumée qui me brûle les poumons. Je toussote en riant jaune. Ça aussi, c'était censé être temporaire. Je n'ai jamais touché aux cigarettes avant ma suspension. Le sport, la compétition, l'équipe, c'était toute ma vie. Le hockey passait avant tout. Pff... j'ai l'impression que ces événements datent d'une autre époque, pourtant ils ont eu lieu il n'y a qu'un mois. Dire qu'il a suffi d'une vingtaine de jours pour que je devienne un paria...

J'écrase mon mégot contre la semelle de ma chaussure. Des cendres s'envolent avant d'atterrir sur le siège entre mes cuisses. J'époussette les résidus grisâtres. Au moins, il me reste encore ce petit bijou. Le moteur rugit au moment où que j'accélère brusquement. Je me parque à l'arrache sur le gazon, loin des fêtards qui risquent d'abîmer ma précieuse bécane. Franck me fera sûrement la gueule pour avoir participé à la destruction de son massif de fleurs, mais je me ferai pardonner en emmenant sa nièce à la fête foraine. Il sait qu'Emma m'adore.

Après avoir vérifié que personne ne me prête attention, je range mon casque et mes gants dans le coffre de ma moto, puis je trace jusqu'au portillon qui donne sur l'arrière du jardin. Je tape rapidement le code de sécurité sur le boîtier avant de rabattre ma capuche sur ma tête.

Ne pas faire de scènes... garder profil bas, me répété-je mentalement en accélérant le pas.

Facile à dire quand on ne s'appelle pas Weston.

Tendu, je sens ma peau frémir de rage. J'ai la sensation que tout le monde ne regarde que moi. S'il y en a un qui ose me faire la moindre réflexion sur ma présence ici, je jure que je l'emplafonne. Je rase les murs depuis des semaines, espérant que tout cet enfer cesse enfin, et je suis à deux doigts d'imploser. Je serre les poings, me force à avancer en marchant dans l'ombre. Les gobelets en plastique qui jonchent le sol craquent sous mes pas furibonds. La pelouse en est couverte alors qu'il n'est que 22 h, le nettoyage promet de piquer. Je me faufile à l'intérieur par la porte de la cuisine. Une dizaine d'inconnus errent dans la pièce en quête d'alcool, mais par chance, ma tronche ne leur dit rien. J'ai juste droit à quelques œillades curieuses. La plupart des lumières ont été éteintes pour créer une ambiance tamisée, ce qui me convient parfaitement. Je vérifie qu'aucun Husky ne se trouve dans les parages et avance jusqu'au frigo à la recherche d'un truc à grailler. Une main se pose sur mon épaule. Sur mes gardes, je me retourne, prêt à riposter.

— Hé, tout doux, ce n'est que moi ! me lance Franck, les bras en l'air en signe de reddition. Je venais récupérer des glaçons.

L'ancien ailier des Huskies marque une pause, s'attendant peut-être à ce que je prenne la parole, ce que je m'abstiens de faire. Rester silencieux est sûrement mieux quand je me sens à fleur de peau comme ce soir. Je risquerais de balancer des conneries qui me coûteraient cher, encore une fois. C'est l'un de mes plus grands défauts, je ne peux pas m'empêcher de l'ouvrir, et je n'ai pas besoin d'ajouter de nouveaux faits divers à mon dossier.

— Je ne t'ai pas vu de la journée, ça a été ? m'interroge-t-il, suspicieux.

Je souris avec amertume devant son regard inquisiteur. Il parcourt mon visage, puis mes mains à la recherche d'hématomes, de traces de combat. Il trouve quelques éraflures sur ma joue droite ainsi que sur mes doigts accrochés à la porte de son frigo. Je remue la tête avant qu'il n'en tire des conclusions.

— Relaxe, mec. J'étais juste à la salle de sport. Si j'avais tué quelqu'un, je ne serais pas en train de me nourrir tranquillement dans ta cuisine.

— Ouais, bah j'espère bien. Je n'ai pas envie d'aller te filer des oranges en taule.

— Ça tombe bien, je déteste les oranges.

— Ne fais pas le malin, West. Je m'inquiète pour toi.

— Maintenant que tu as pu constater que je vais on ne peut mieux, j'ai le droit de remonter dans ma chambre, Papa ? me moqué-je.

— C'est ça, fous-toi de moi. Au lieu de t'enfermer dans ta piaule, pourquoi tu ne restes pas boire un coup ? Il serait temps d'aller de l'avant. Les cours ont repris.

— Pour croiser les Huskies au grand complet ? Non merci. Je préfère encore me jeter par la fenêtre.

— Ah ce point ? Bah, vas-y, ne te gêne surtout pas pour moi. Ça m'évitera de me coltiner ta mauvaise humeur.

Il m'adresse un doigt d'honneur, s'éloigne de quelques pas avant de faire volte-face.

— Au fait, je dis ça comme ça, mais il n'y a que deux membres de l'équipe, ce soir. La moitié est à un entraînement avec les nouveaux et l'autre moitié n'avait pas envie de sortir. Donc, t'as aucune excuse pour fuir ma fête.

Je fronce les sourcils, fais la moue, soudain hésitant.

— Et Bill ?

— À la patinoire. Profite de ta soirée, Weston. Personne ne t'emmerdera aujourd'hui.

Red Falcon - Plumes du WebOù les histoires vivent. Découvrez maintenant