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hope a un sourire quand Emily lui désigne en grimaçant la table derrière elle, autour de laquelle se pressent quatre cinquantenaires aux cheveux grisonnants et à l'air prétentieux. Il pose doucement la main sur l'épaule de sa collègue en la dépassant pour lui indiquer qu'il s'en occupe et il se plante avec cette expression avenante qu'il ne parvient à avoir qu'au travail devant les hommes. Leur regard est avide, un peu méprisant, mais hope parvient à garder son calme et à prendre leur commande en évitant leurs commentaires mesquins. Il ravale un sourire en constatant qu'ils prennent le vin milieu de gamme, celui juste après le premier prix, et il fait un signe de la tête encourageant avant de disparaître dans la cuisine. Ils en avaient toujours, des comme ça – il faut dire que la localisation du restaurant, en plein milieu du quartier d'affaires, orientait largement leur clientèle. Maintenant, il parvenait même à les regarder dans les yeux et à leur répondre quand ils faisaient preuve d'un peu trop d'enthousiasme concernant les mauvais traitements qu'ils s'imaginaient recevoir. Hugh, leur patron, s'occupe de la caisse à l'entrée ; il lui fait un sourire à chaque fois qu'il passe. Au début, quand il venait d'arriver, Hugh insistait pour que hope prenne bien ses pauses, visiblement peu envieux que les pompiers ne débarquent dans son restaurant en plein milieu du service pour récupérer son serveur le plus efficace. hope n'avait pas pu s'empêcher de se sentir touché malgré la manœuvre plus que paternaliste – personne ne s'était jamais préoccupé de lui comme ça, surtout pas au boulot. Il se souvenait quand il avait été embauché, deux ans auparavant. Hugh recherchait un troisième serveur pour la période haute, en été, et il avait malheureusement vu des dizaines de jeunes personnes dont aucune ne l'avait convaincu. C'était sûrement parce que Hugh était bourru, qu'il payait mal et qu'il avait une sacrée tendance à hurler sur ses employés, tendance qui l'avait mené déjà à l'époque deux fois devant les tribunaux. Probablement parce qu'il était fatigué et qu'il voulait absolument faire tourner son commerce, il avait fini par proposer bien plus que le salaire habituel en exigeant un service parfait. hope s'était pointé au petit bonhomme la chance ; il avait déjà de l'expérience dans la vente mais pas dans la restauration. A l'époque, il était dans un état pas loin d'être catastrophique : il était à peine capable de marcher sans prendre ses médicaments, ses articulaitions étaient en permanence prises dans des atèles pour lui permettre de bouger et il faisait des crises suicidaires plusieurs fois par jour, mais il n'avait pas le choix. Un des éléments empirant ses crises suicidaires et ses douleurs était notamment le fait qu'il n'avait pas d'argent : il risquait de perdre son appartement maintenant que ses parents ne lui donnaient plus d'argent, il avait tout juste de quoi payer ses médicaments, il n'avait pas d'assurance maladie, il était incapable d'avoir un suivi psychiatrique fiable. Il fallait qu'il ait de l'argent et donc, pour cela, il fallait qu'il travaille. Les allocations pour les personnes handicapées lui étaient déjà inaccessibles à l'époque – il n'était, soi disant, pas assez malade pour ça. Deux médecins différents le lui avaient dit et l'avaient encouragé à ne pas demander ses droits. Ils avaient qualifié ça tous deux de « perte de temps et d'énergie », et hope les avait écoutés – après tout, il s'était dit qu'ils savaient mieux que lui.

Il s'était pointé la bouche en coeur, aussi bien fringué que possible, ses atèles les plus fines sur le corps pour qu'elles soient presque invisibles. Il s'était surpassé ce soir-là, même comparé à ses performances actuelles. Il avait dissocié toute la soirée mais il s'était fait presque un mois de loyer en pourboires et il s'avérait étrangement doué pour parler avec les riches hommes qui passaient ici et leur extorquer leur argent par tous les moyens possibles. Hugh l'avait aussitôt embauché à mi-temps – il avait eu la chance que son patron ne le vire pas quand il avait constaté son état. Bien sûr, il n'avait jamais manqué une journée de travail : il faisait en sorte d'être en étant quand c'était son shift, point, et la dissociation qu'il avait fini par utiliser comme un véritable outil dans son travail lui permettait de se rendre compte de la brûlure qui vrillait ses articulations une fois rentré chez lui uniquement. Mais Hugh aurait pu flipper à l'idée qu'il devienne, soudain, beaucoup moins fiable. Heureusement qu'il était doué – tout comme Emily, d'ailleurs, qui parvenait toujours à faire reprendre aux clients une part de dessert. hope tapait plutôt du côté de l'alcool, de manière subtile. Ça marchait suffisamment bien pour qu'il ait ses clients attitrés qui demandaient systématiquement à ce qu'il s'occupe d'eux.

_-L;O\GOù les histoires vivent. Découvrez maintenant