But when I look at you, you're forgiven - Drop Dead Gorgeous, Republica

378 28 38
                                    

La montre brillait à son poignet, pourtant il ne la regardait pas. Pierre, quand il échangeait ses idées avec Sylvain quant à la chaîne YouTube, quand il planifiait les futurs projets et, plus concrètement, les tournages à venir, il oubliait le temps. À quoi lui sert sa montre à cet instant, alors ? À se rendre compte, trop tard, qu'il aurait dû rentrer chez lui il y a vingt minutes.

Quand il posa les yeux sur le cadran, qu'il vit l'aiguille des minutes ayant largement dépassé la moitié, il leva une main pour arrêter son ami. Ce dernier était en train de parler du tournage qui arrivait la semaine suivante. Il s'arrêta, tout confus face à cette manie récente de Pierre d'avorter leurs réunions pour partir précipitamment. D'où lui venait telle ponctualité ? Pierre ne répondait jamais aux questions de plus en plus agacées de Sylvain. Il s'en allait, fuyait, rentrait chez lui.

Il n'y faisait rien de plus intéressant, mais là-bas l'attendait quelqu'un de très impatient. Un peu trop à son goût. Il regrettait parfois l'ancienne liberté qu'il avait de rentrer de chez Sylvain après la nuit tombée, de passer des heures en la compagnie de son collègue à parler de sa passion. C'était fini, maintenant, avec son compagnon.

Il comprenait un peu pourquoi son petit ami lui demandait d'être rentré à une certaine heure : il travaillait tant qu'ils arrivaient difficilement à passer du temps ensemble. Seulement, Pierre aurait préféré un peu plus de flexibilité, de ne pas se faire blâmer à chaque minute dépassée. Il ne disait rien, car après la tempête, courte mais non moins violente, se trouvait l'accalmie. La douceur, la sécurité, l'apaisement et la paix. Il pouvait alors passer la soirée lové entre deux bras à regarder la télé, ou à jouer aux jeux vidéo, ou à l'écouter parler de sa journée.

Pierre ne parlait jamais de la sienne, car il la partageait si souvent avec Sylvain que son compagnon s'irritait à chaque fois qu'il entendait son prénom. Il devenait un peu maussade, tirait Pierre vers lui pour l'embrasser et le faire taire. Il se laissait faire, peut-être qu'il aimait bien. Ou peut-être qu'il redoutait un autre orage s'il protestait. Il n'avait pas vraiment peur, il était seulement lassé des disputes et préférait se plier aux règles, tant qu'elles ne prenaient pas trop de place.

Reste qu'il était bientôt dix-neuf heures trente et que Pierre était en retard. Il se dépêcha de couper le contact et de sortir de l'auto, conscient du regard braqué sur lui. Son compagnon l'attendait sur le pas de la porte, les bras croisés, impassible. Il fit le tour de la voiture, ouvrit le coffre, sortit son matériel... Il essayait de se donner l'air pressé, espérant calmer le courroux de l'autre homme, son cœur battant un peu trop fort à son goût. Pourtant, il n'était pas du genre nerveux, mais l'anticipation de la dispute à venir l'angoissait.

« Pas vu le temps passer ? »

La question semblait anodine, elle pouvait ressembler à une blague. C'est ce que les voisins se diront, mais Pierre savait. Il entendait le ton acerbe et, quand il leva le regard vers lui, il vit les éclairs dans ses yeux. Le reproche. Il baissa la tête, les bras tenant son matériel ballant de chaque côté, et avança sans répondre, pour ne pas envenimer la situation. C'était tout un enchaînement de détails, qu'il avait appris un à un à grand coup d'engueulades, qu'il avait intégrés, qui le rendait si prudent.

Il passa la porte, poussant un peu le grand corps qui lui barrait la route même s'il avait essayé de se faire tout petit, par réflexe. Il alla déposer ses affaires dans le bureau, des pas le suivant.

« Tu t'excuses même plus ?

-Si, pardon, je... »

Il se retourna et soupira.

« Désolé, je comptais pas rentrer si tard... »

Pierre détesta le ton volontairement mielleux de sa voix, comme si ça servait à quelque chose.

You're Forgiven / Better OffOù les histoires vivent. Découvrez maintenant