— Caitlin, on doit y aller, sors de la salle de bains maintenant !
Je regarde l'heure. À peine 7h15, j'ai encore cinq minutes au moins devant moi avant d'être en retard. Maman a toujours été bien trop stressée avec les horaires...
Et ce lundi, j'ai besoin de temps. J'ai été malade tout le week-end et même si je suis remise, je suis encore toute pâle, mon nez est rougi et j'ai les joues creusées. Et ça, c'est sans parler de mes cernes... Je vais devoir jouer du maquillage pour effacer tout ça, ou au moins pour réparer un maximum de dégâts.
— Caitlin, je sais que tu m'as entendue !
— Oui oui, j'arrive !
Je soupire en me regardant dans le miroir. On va dire que j'ai fait de mon mieux... Machinalement, je passe ma main dans mes cheveux blond cendré, qui ondulent un peu : parfois, je fais l'effort de les tresser, mais si je me lance là-dedans maintenant, je vais faire criser maman.
Dans ma boîte à bijoux posée sur une étagère à côté de la glace, j'attrape un bracelet vert, que je passe à mon poignet. Sa vue me redonne le sourire, ce qui n'était pas une tâche facile en ce lundi matin où deux mortelles heures de SES m'attendent. Le pire, c'est que je n'ai même pas pu profiter de mon week-end, clouée au lit alors que tous mes amis s'étaient donné rendez-vous samedi soir pour faire la fête. Alors j'ai bien besoin de la force que mon bracelet me communique pour m'aider à affronter cette journée... m'a été offert par mon copain, Maël, lorsque nous avons fêté nos six mois de couple. Je frissonne encore en me souvenant du moment où il m'a pris la main pour glisser le bijou le long de mon poignet, en me disant qu'il l'avait choisi parce qu'il lui rappelait la couleur de mes yeux. Ensuite, il s'est penché pour me glisser à l'oreille :
— Je t'aime tellement, Caitlin. Ma belle émeraude...
Les mots résonnent toujours dans ma tête, comme s'il venait tout juste de les prononcer. Je crois qu'ils ne s'arrêteront jamais de le faire...
— Caitlin ! CAITLIN !
Maman revient à la charge, plus vigoureusement cette fois, me tirant brutalement de mes douces rêveries. Même si mon apparence n'est pas aussi parfaite que je l'aurais souhaité, il va vraiment falloir que je sorte... Tant pis, ce n'est qu'un jour de lycée ordinaire, après tout, pas le gala de fin d'année. Je sors dans le couloir, passe devant ma mère qui semble soulagée de me voir enfin, puis rejoins ma chambre pour y récupérer mon sac de cours. Dans mon dos, je l'entends qui peste :
— J'ai une réunion importante ce matin, Caitlin. J'espère vraiment je serai à l'heure. Je te préviens : si je suis en retard à cause de toi, je te prive de shopping pour un mois !
Je me contente de hausser les épaules. D'abord parce que je sais qu'elle sera à l'heure, et même un peu en avance, sauf si les embouteillages de la région parisienne s'en mêlent : si je l'écoutais, nous partirions tous les jours un quart d'heure plus tôt. Je crois que si elle nous impose autant de pression au quotidien, c'est parce qu'elle m'élève seule, et qu'elle veut se montrer à la hauteur... Souvent, je me dis que j'aimerais , mais au moins, elle est là pour moi, et je n'ai jamais douté de son amour.
Je ne peux pas en dire autant de mon père. Tobias Parr... Un étranger dont j'ai quelques photos dans ma chambre, et chez qui j'allais passer un mois tous les étés, en Irlande, jusqu'à mes douze ans. À treize ans, c'est passé à deux semaines. Maintenant, je n'y vais plus. À quoi bon ? La moitié du temps, il me confiait à une nounou, et nous n'avions rien à nous dire. Longtemps, j'ai été blessée qu'il s'intéresse si peu à moi. Je me demandais ce qui me manquait, pourquoi, quoi que je fasse, je n'arrivais jamais à attirer son attention. Puis, quand j'ai été en âge de comprendre que ce n'est pas ainsi qu'un parent doit se comporter, j'ai refusé tout net de continuer à prendre part à cette mascarade. Je crois qu'il en a été soulagé. La plus attristée, ça a été ma mère : elle s'obstine à le défendre, à lui trouver des circonstances atténuantes, à vouloir me donner « des repères familiaux stables », sans avoir conscience qu'elle suffit à me les procurer. Je n'ai pas besoin d'un père qui est reparti dans son pays en me laissant derrière lui quand j'avais dix-huit mois. Comme si maman et moi n'avions été qu'une parenthèse dans sa vie, une distraction au cours des quatre ans qu'il a passés comme directeur de la branche française de son entreprise d'électronique. Elle était l'agente immobilière qui lui a fait visiter l'appartement qu'il a choisi de louer, il l'a séduite et a fini par clore leur relation sans plus d'état d'âmes que son bail, au moment où son conseil d'administration l'a rappelé au quartier général. Je suis persuadée qu'il aurait préféré que je ne fasse jamais partie de l'équation...
Il ne m'a laissé que trois choses : des taches de rousseur sur le nez et les bras, son nom de famille, et un prénom irlandais, Caitlin. C'est l'horreur quand je dois le dicter. Kaitlin, Caitlynn, Kate-Line, j'ai tout vu.
Merci Papa.
Maman dit qu'il m'a aussi transmis son talent pour le dessin. Je la crois sur parole, étant donné que je n'ai jamais vu beaucoup de croquis de lui. Il a posé définitivement son crayon quelque part entre les différentes promotions qui ont jalonné sa carrière.
À chaque fois que j'y pense, je me dis que mon père m'aura au moins appris une chose : que je ne veux pas devenir comme lui. Un bourreau de travail aux yeux de qui rien d'autre ne compte.
Au moins, grâce à la pension alimentaire plutôt élevée qu'il verse tous les mois, l'argent n'est pas un souci pour maman et moi...
Elle passe justement la tête par la porte de ma chambre. Je n'attends même pas qu'elle ouvre la bouche : je montre mon sac déjà sur mon épaule. Pour faire bonne figure, je lance même :
— Je suis là !
Je la suis jusqu'à la voiture, et je m'installe sur le siège passager. Je connecte mon téléphone au système audio, et les notes d'une chanson familière se font bientôt entendre dans tout l'habitacle. Welcome, des Icebreakers, mon groupe préféré. Le rythme enjoué me met de bonne humeur. Heureusement, le matin, maman me laisse toujours choisir la musique que nous écoutons pendant le trajet jusqu'au lycée. Elle a vite compris que j'ai besoin du soutien de mes artistes favoris pour surmonter les journées qui m'attendent...
— Encore cette chanson ? plaisante-t-elle. Même moi, je vais finir par en connaître les paroles par cœur !
— Oh, allez, je sais que tu l'aimes bien toi aussi, je lui réponds. Tu l'as mise dans ta propre playlist Spotify, je l'ai entendue la dernière fois que tu l'as lancée en faisant la cuisine.
Pour toute réponse, elle m'adresse un clin d'œil, et je me laisse aller contre mon siège, bercée par la mélodie. C'est fou comme quelques notes et la voix douce d'une chanteuse peuvent faire du bien au moral... La musique a le pouvoir de déposer sur mon monde un vernis plus brillant, me permettant de le voir plus beau même quand mon esprit est gris Ces couleurs de la vie, je m'efforce ensuite de les saisir dans mes dessins. Je suis peut-être trop naïve, mais j'aime poser sur le monde un regard émerveillé. Un ciel bleu, une fleur qui éclot ou même un brin d'herbe peuvent suffire à m'inspirer. C'est peut-être pour ça que je n'ai jamais été intéressée pour suivre des cours, même si maman me l'a parfois proposé. J'ai peur de perdre l'émotion et la spontanéité que mes crayons m'apportent si l'on me contraint à rentrer dans un cadre. J'y perds sans doute en niveau technique, mais tant pis : c'est avant tout pour moi que je dessine. Et puis, à force de m'exercer tous les jours – bien souvent dans les marges de mes cahiers, au lycée –, je trouve que je ne m'en sors pas si mal.
Alors que la chanson touche à sa fin, je souris, détendue grâce à sa magie. Ça y est, je me sens prête à laisser le positif occulter le négatif dans ce qui m'attend. Oui, j'ai cours de SES et ce sera une épreuve, comme toujours, mais Maël m'attendra avant le début de l'heure au coin du bâtiment C, et mes amies auront sans doute plein de potins à me raconter suite à la soirée de samedi. L'un dans l'autre, c'est une bonne journée qui commence.
Non ?
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Donne-moi des ailes [Sous contrat d'édition]
Teen FictionCaitlin est une lycéenne ordinaire, passionnée de dessin. Elle poste ses œuvres sur Internet, sans attendre quoi que ce soit en retour... jusqu'à ce qu'un certain Longissor vienne commenter ses créations. Qui se cache derrière ce pseudo ? Une rencon...