Chapitre 6

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Le scanner de l'imprimante sur le bureau de ma mère ronronne doucement sous mes doigts. J'appuie sur le capot afin que le dessin que je suis en train de numériser reste bien à plat. Cet après-midi, j'ai tenté pour la première fois de mêler croquis aux traits accentués au stylo bille noir, et aquarelle. J'avais envie d'essayer quelque chose de différent, de travailler sur la précision du dessin. Une chanson m'a inspirée, comme souvent : I am Woman, d'Emmy Meli. De quoi me motiver à me montrer audacieuse... Ce que j'ai représenté sur ma feuille, c'est un portrait d'Inès – c'est bientôt son anniversaire et j'ai envie de lui offrir quelque chose qui viendrait de moi, et pas d'un magasin. Je crois qu'il va encore falloir que je fasse quelques essais avant que le résultat me plaise à 100%, mais je vais déjà voir ce que Longissor pense de cette version-là lorsque je la posterai sur Instagram tout à l'heure...

Le scan terminé , quand j'entends derrière moi :

— Caitlin, je peux te parler cinq minutes ?

sur son tablier de cuisine encore noué autour de sa taille. À son expression contrariée, je devine que la discussion que nous allons avoir ne sera pas agréable...

— Qu'est-ce qu'il y a ? je soupire, blasée d'avance.

— Tu as encore passé ton après-midi à dessiner, n'est-ce pas ?

Je hausse les épaules. En quoi est-ce un problème ? Nous sommes samedi, je m'occupe comme je veux. Elle n'a pas à se plaindre, ma passion n'est ni coûteuse ni dangereuse.

— Le bac de français approche, reprend Maman. Je n'ai pas l'impression que tu révises beaucoup. Tu es sûre que tu ne devrais pas t'y mettre ?

Je pince les lèvres. Inès aussi me dit la même chose. Je m'étais promis de commencer à travailler à partir des vacances de printemps, mais elles viennent de passer et je n'ai pas encore trouvé la motivation de m'y mettre vraiment. J'ai du mal à m'intéresser aux commentaires des textes de Victor Hugo ou de Balzac alors que je bouillonne d'inspiration pour faire naître dessin après dessin sous mes crayons. compter que ça me rappelle bien trop l'an dernier, quand Maël révisait pour ses propres épreuves de Français et que je le soutenais. Et dire que je m'imaginais qu'il serait là pour moi quand mon tour viendrait... J'ai du mal à accepter que mes illusions d'un avenir radieux à deux ont été brisées.

— C'est bien ce que je pensais... lâche ma mère. Écoute, Caitlin, je sais que ce n'est pas une période très agréable, je suis passée par là aussi quand j'avais ton âge. Mais tes notes de bac, les établissements supérieurs vont les scruter pour accepter ou non ton dossier.

— Je n'ai même pas encore décidé où je veux postuler...

— Et c'est un problème ! Ça aussi, il faudrait que tu y réfléchisses, Caitlin.

— Qu'est-ce que tu voudrais ? Que j'arrête carrément le dessin pour penser à tout ça ?

Mon ton est monté sans que je le veuille vraiment. Mais imaginer renoncer à cette bouffée d'air, la chose qui me fait le plus vibrer journée après journée, me fait mal.

— Pas complètement, tempère Maman. Juste que tu équilibres davantage ton temps jusqu'à ce que ton bac soit passé. Tu crois que tu pourrais essayer ?

Voyant que je ne réponds rien, démoralisée, elle ajoute :

— Je te promets que si tu fais des efforts, j'en ferai aussi après tes épreuves pour te récompenser. En attendant, je ne veux plus te voir fourrée près de mon scanner tous les deux jours. Quelques croquis de temps en temps pour t'aérer l'esprit entre deux révisions, oui, mais passer des heures sur un dessin comme tu le fais actuellement, il va falloir arrêter pour le moment. C'est d'accord ?

Donne-moi des ailes [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant