Chapitre 2 : ...And how she was before the years flew by...

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Enfant, je souhaitais connaitre tous les mécanismes qui font ce monde.

J'étais fascinée par la couleur du ciel, les jours d'orage. J'aimais respirer l'odeur de la pluie, écouter l'écoulement du vent et contempler la force que son aérodynamisme exercé sur mes cerfs-volants en plastique construits avec toute l'ingéniosité de mes doigts de fillette.

Le gout d'un fruit amer avec une touche de sel, courir, s'écorcher les genoux, découvrir les mots et les répéter sans cesse pour mieux les stocker dans ma mémoire, dessiner partout, tout le temps : mes errances, comme ma mère aimait à me le faire comprendre, n'étaient pas calibrées pour ce monde.

Ma mère disait que Dieu m'avait peinte d'une couleur particulière. Les codes alignés par la société demeurant toujours incompréhensibles, alors que je venais d'avoir huit ans, elle se mit à mater l'enfant tordue que j'étais et qui ne jouait qu'à des jeux de garçons.

L'école commençait à me stigmatiser, les filles à se moquer, les garçons à me provoquer, je rentrais à la maison, fière de mes blessures de guerre arrachées sur le ring en bac à sable. Elle me reprocha cette attitude belliqueuse. Elle me demanda, pourquoi, je n'étais pas comme les autres.

Pourquoi l'appelait-on, elle si discrète, pour lui faire part de mes frasques. Pourquoi, pourquoi,pourquoi...je n'étais pas une gentille fille. Tout ce qu'elle voulait de moi, c'est que je ne lui fasse pas honte. Tout ce qu'elle attendait de moi, c'est que je sois silencieuse et modeste. Mieux encore, elle me voulait humble et dévouée. Le premier chagrin arriva. La cruauté des enfants était supportable tant que je ne savais pas à quoi ressemblait la déception amenée par les petites trahisons. Etre trompée par mes premières amitiés à qui j'avais confié toute ma loyauté, me fit renoncer à vouloir tisser des liens. Ces petites douleurs destinées à m'endurcir comme me le rappelait ma mère, ne s'effaçaient pas et avec le temps, prenaient de l'importance dans mon petit cœur de gamine quand les autres étaient passés à autre chose et ne comprenaient pas l'ampleur de l'abus.

Ma mère m'exigea du pragmatisme.

Je devais avoir une calculette à la place du cœur, c'était une question de survie. Je devais être en mesure d'adapter des stratégies pour me faire aimer de tous. Si les autres me rejetaient, c'est que je ne faisais pas assez d'efforts. La séduction était le catalyseur du lien social. Comment j'allais faire pour échapper à cette existence médiocre de pauvre? Je parlais à tort et à travers, je posais les questions qu'il ne fallait pas, je manquais tellement de grâce en plus de manquer d'intelligence sociale. Il ne me restait plus qu'à apprendre à faire partie de la cour de quelqu'un de puissant, qui saurait m'aider, me protéger et me supporter.

Et maman avait raison, si je n'étais pas assez forte pour me battre, si je ne savais pas être forte pour supporter la moquerie et si je n'avais pas assez de force pour tordre le cou à la déception :ce monde allait me réduire en cendres.

Elle aurait tant aimé avoir un garçon. Si j'avais été un garçon, mon « bâtard » de père se serait occupé de moi. Mais voilà, Dieu lui adonné une enfant, une fille, qu'elle élevait pour une autre famille. Aussi, à part me marier et avoir des enfants, il n'y avait rien dans cette vie pour quelqu'un comme moi.

Et surtout, je devais comprendre que je n'avais pas à avoir des ambitions.

La chance est un facteur de l'ambition.

L'ambition vient de l'effort.

L'effort, c'est un geste répété mille fois dans la douleur, qui devient la perfection.

La perfection, c'est ce à quoi je devais aspirer.

Toute action de rébellion, fut muselée et réprimée dès l'enfance par les certitudes virulentes corsetées dans l'insulte et les coups car elle se saignait pour que je mange.

A onze ans, je devins une enfant sage et dévouée, l'aidant au quotidien à vendre des friandises aux enfants devant une école privée.

Et à seize ans, j'étais parfaite pour remplir l'unique contrat vis-à-vis de la société :me marier et avoir des enfants. Cela suffisait amplement dans une vie de femme comme elle aimait à le répéter. Elle recevait déjà des propositions de mariage.

Si seulement le harcèlement de cette professeure de français, n'avait pas ameuté la proviseure de mon lycée, j'aurai été la troisième épouse de ce monsieur à l'âge incertain.

Elle promit, pour que ses deux folles d'intellectuelles arrêtent de débarquer chez nous, de patienter jusqu'à ce que j'ai mon bac. Après tout, ce n'était que le début, troisième épouse, ce n'était pas gratifiant. Je ne devais surtout pas écouter les deux folles d'intellectuelles.

Avec leur salaire, leurs beaux habits, leur tête bien faite, elles osaient venir chez elle et lui faire la leçon. Elles voulaient que je suive une filière artistique.

Et puis quoi encore, elle le savait, j'étais incapable de devenir médecin, professeur, journaliste, alors j'allais perdre mon temps pour apprendre : l'art. Elle allait payer pour que j'apprenne à danser, chanter, barbouiller des murs, ma mère n'avait pas mise au monde une saltimbanque. Ces femmes étaient jalouses de ma chance et de ma jeunesse, je ne devais pas les écouter car elles avaient fait les études qui faisaient fuir les hommes.

Après tous les hommes nous trahissent. La plus grande histoire d'amour d'une femme, reste ses enfants. Cette vie simple, suffirait amplement à quelqu'un comme moi. Je n'avais pas à donner mon cœur, un homme quelque soit son âge et le nombre de ses épouses, qui me traiterait bien, était largement suffisant.

Quant à l'amour, il y a ce que j'avais lu, entendu dans des chansons, vu en cachette dans les salles mal éclairées des cinémas de quartiers...ces choses étaient pour d'autres cultures.

Notre quotidien encore calibré pour satisfaire des besoins de consommation primaire, n'avait pas besoin d'autant de mensonges enrobées dans du sucre. Ça, les deux folles d'intellectuelles, n'avaient pas capté. Tout se fanait avec l'âge et les problèmes.

Par contre, si j'avais assez de jugeote, ma vie serait tranquille et bien douce car un quotidien ennuyeux était une grande félicité quand, les hommes ne font que nous trahir en bout de chaine.

Le fait que Farah soit un futur douanier, dans ce lot de prétendants qui souvent manquaient de sérieux, plut beaucoup à ma mère. Le prestige de l'uniforme, je suppose.

En plus, ses frères étaient tous en Europe, sa famille était pieuse et il avait eu le coup de foudre pour moi lors d'une soirée d'anniversaire.

Oui, au-delà des tractations sournoises entre nos deux familles, il m'aimait.

Oui, c'est le seul qui après notre première rencontre, est venu avec son oncle le lendemain pour demander ma main.

Ma mère, euphorique, disait, que nous pouvions enfin nous séparer car sa dette envers moi, était payée. Comme elle se plaisait à dire à Farah : j'étais désormais sous l'entière responsabilité de mon mari à qui elle ne réclamait rien.

Le jour de mon mariage, avant que je ne rejoigne la chambre nuptiale, elle lui dit : Dieu m'adonné une fille. J'ai tout fait pour qu'elle soit pieuse, modeste et polie mais Tabara a son caractère. Elle fait tout pour domestiquer cette nature qu'elle a hérité de son père. C'est son plus grand défaut. Elle lui exhortait d'être patient et de me montrer le droit chemin.

Moi...... Je veux juste faire plaisir à maman.

Moi......Quoi qu'il puisse se passer, si j'arrive à la rendre fière de moi, peut-être qu'elle m'aimera juste un peu.

CatharsisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant