- Je serai à Dakar dans trois jours.
Il nous l'annonça un lundi matin. Il avait quitté l'Espagne et vivait désormais à Paris. Nous allions nous revoir après cinq années de séparation et il allait enfin tenir son fils dans ses bras. Est-ce qu'il me trouverait changée, est-ce qu'il me trouverait belle. Et cette promesse qu'il m'avait faite, pour récompenser toute ma résilience, et ce malgré tout ce qui se disait sur moi : un appartement à nous, à moi pour ne plus avoir à vivre avec sa famille.
Un stress monumental s'empara de moi.
Ce jour arriva, c'était une de ces nuits froides, bruissant des derniers relents des maux courts de février. Thierno, recroquevillé dans le creux de mes bras, s'amusait à croquer les décibels des histoires que je lui racontais au rythme de cette nouvelle partition, celle de la mélodie des cigales sous les palabres d'une vie de quartier. Le temps passait, la tête ailleurs, les secondes défilaient et rien ne me calmait.
Le cri de sa mère sonna le glas. Ce cri de joie, pris des airs de balafons et le délicieux tourment qui m'empêchait de manger ces derniers jours, reprit. Un chant d'aube nubile, un instant minuscule de clameur, amena dans la cour, un nouveau décor. Le taxi s'effaça et convia cette silhouette à rejoindre la convivialité de la palabre. C'était un homme maintenant, un homme que je découvrais car son souvenir, dans la photographie de ma mémoire, me renvoyait désormais l'image d'un adolescent parti affronter l'inconnu. Pourtant cette gentillesse affable qu'ont tous les fils prodigues mais aussi le bruit autour de lui le drapent d'une nouvelle autorité. Le monde l'accueille. Le monde me le prend. Le monde m'efface. Il me cherche, il me découvre derrière la foule, encerclée dans la timidité des non-dits. Sa main s'arroge mon bras.
- Tabara, comme tu m'as manqué...
Le monde s'écarte.
Sa bouche vole une parcelle de ma joue. Toute cette affection surprend les âmes insensibles dont les yeux outrés marmonnent l'indécence. Sa main toujours dans la mienne fait le tour des connaissances. Notre fils réveillé par le bruit, le découvre aussi mais dans la frayeur des retrouvailles mélancoliques, s'échappe de son étreinte forcée, pour se réfugier contre moi. Je vois la tristesse de ce rejet qui l'accable, ça ne dure que quelques secondes. Après des heures à raconter la vie aux autres, à donner des cadeaux, nous nous retrouvons enfin seule dans cette chambre qui a beaucoup changé depuis son départ. Il me désigne une de ses valises.
- Tout ça c'est pour toi
- Vraiment
- Oui. On va laisser la « maman » faire son show et puis toi et moi direction les Iles Saloum. J'ai réservé un hôtel pour une semaine car je ne me rappelle pas t'avoir offert une lune de miel.
Je partage l'aventure de cette semaine. Entre les convenances et notre nouvelle idylle, de l'assurance me vint, car il m'en donna. Ma confiance revint, d'autant plus qu'il se pressait pour hâter notre déménagement. Sa mère, toute en sucre, ne comprenait pas pourquoi je ne restais pas vivre avec elle.
Avant notre départ pour l'Ile de Mar, il signa le bail d'un trois pièces près de la Voie de Dégagement Nord. Le fameux container, rempli de meubles en bois ancien et d'équipements high-tech, sa principale source de préoccupation depuis son retour, arriva enfin au port. Il me demanda de meubler notre chez nous comme je le voulais avant qu'il ne mette le reste des articles en vente. Ne voulant pas laisser notre fils à sa mère, je l'emmenais avec nous pour cette nouvelle lune de miel. Le reste du monde se fit oublier dès la sortie de Dakar.
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Nous nous retrouvâmes, nous nous découvrirent. Ces longues promenades sous les caïlcédrats bénis par la tendresse du soleil, voyaient jouer notre fils sur la plage. Tu me rassures, homme du monde, quand cette pirogue, bercée par l'effluve de la lagune, disperse les bancs de poissons perturbés dans leur tranquillité. Etouffée par la quiétude des palétuviers, il vient ce vent léger, des oiseaux indiscrets qui marquent leur antre de l'empreinte de la chaleur du sud.
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Catharsis
General FictionNée d'un père wolof et d'une mère sénégalo-mauritanienne, Tabara reçoit très tôt la violence en héritage dans une société qui préfère la « normaliser » selon les critères du Kersa car une femme doit être humble, soumise et pudique. Personnalité malg...