Le bord de la rivière

p.2 / le kami de la forêt

Les pas de Chihiro l'amenaient hâtivement gravir les marches abîmées du vieil escalier en pierre, passer sous l'immense porte vermillon qu'on appelait torii, tout cela toisée par le regard sévère des komainu, les statues semblables à des lions qui gardaient les lieux.

Chihiro venait souvent au sanctuaire shintô de son village ; elle était cependant l'une des seules. Plus personne ne s'en préoccupait et la végétation recouvrait peu à peu les édifices, le haiden, le heiden ou encore le temizuya sous lequel la jeune fille se rendait toujours pour se laver les mains et la bouche. Pour Chihiro, ce n'était pas si étrange que cela de laisser la nature envahir le sanctuaire où résidait le kami de la forêt du village.

Elle se sentait bien dans cet endroit, proche de l'esprit de la forêt, elle n'aurait pas su expliquer pourquoi. Elle venait surtout pour s'émerveiller de la beauté de l'endroit, mais elle n'oubliait jamais de prier le kami.

Chihiro se dirigeait vers le haiden quand elle remarqua la présence d'un vieil homme qu'elle avait déjà vu quelques fois dans le sanctuaire. Son allure l'avait toujours amusée ; il était courbé comme un lampadaire, et son front était si large, son crâne si dégarni et aplati qu'il lui faisait penser aux célèbres kappa, les monstres des fleuves qui ont le sommet de leur crâne creusé et rempli d'eau.

Alors que Chihiro ne s'y attendait pas du tout, parce qu'ils ne s'étaient jamais parlés auparavant, le vieillard lui souffla avec un air plein de malice :

« J'espère que tu ne viens pas pour t'incliner mollement devant le kami d'une forêt. Les kami comme lui, qui surveillent les portails avec le monde des esprits, méritent beaucoup, beaucoup plus de considération. »