✧ | 01 - ❝ premiers espoirs ❞

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Trois clics, et des mots qui se mélangent. Elyne ferma les yeux une seconde. Deux, peut-être. Le temps de les ouvrir, sa petite sœur hurlait en la serrant dans ses bras.

— T'as réussi ! Tu vas partir aux Etats-Unis ! Je suis trop fière de toi. Oh, tu vas tellement me manquer ! déclara cette dernière d'un ton presque tragique.

La jeune fille se mit à rire doucement et rendit son étreinte à l'adolescente qui ne voulait plus la lâcher. Cela faisait deux mois qu'elle avait finalisé son dossier. Deux longs mois à attendre bien trop impatiemment une réponse, après avoir passé des heures à gérer des papiers administratifs qui l'avaient presque poussée à bout.

Et aujourd'hui, alors qu'elle était installée en tailleur sur le canapé familial, avec son ordinateur calé sur ses jambes et son grand t-shirt bleu en guise de pyjama, le mail était arrivé. Elyne avait fait défiler les salutations et les formules de politesses à toute vitesse avant de voir le oui. Blanc sur noir grâce au mode sombre de sa messagerie, il y avait un oui. Un oui qui lui soufflait qu'elle avait le droit d'être heureuse et de croire en son rêve pour de bon, parce qu'elle allait pouvoir vivre de l'autre côté de l'Atlantique.

— Elyne, allô la Lune, ici la Terre ! Tu pars aux Etats-Unis, si jamais tu n'avais pas compris. Aux Etats-Unis, madame !

— C'est même pas ça, l'expression, souffla la concernée sans oser la regarder dans les yeux. Et ensuite, bien sûr que j'ai compris !

Sa petite sœur l'observa d'un air sceptique, puis se mit à tirer les joues de son aînée dans le but de la faire sourire.

— Bah, sois contente alors. On dirait que tu vas pleurer !

Elyne se laissa faire malgré la légère douleur que lui infligeait l'adolescente. Il y avait bien des larmes dans ses yeux, qui brouillaient peu à peu sa vision et qui tombaient déjà sur le clavier. Mais elles n'étaient que le reflet d'un doux soulagement. Le travail avait payé. Une chance lui avait même été accordée – peu de gens de seize ans pouvaient prétendre pouvoir partir à l'étranger pendant trois longs mois, presque tous frais couverts. Et au-delà de cette bonne nouvelle, il y avait un avantage tout autre à partir à l'autre bout du monde, même pour quelques mois : échapper à ses parents.

Mina lâcha enfin sa sœur et, voyant ses larmes, les essuya d'un geste tendre. Elle savait à quel point elle avait besoin de quitter la maison, qui devenait de plus en plus oppressante au fur et à mesure que les deux filles grandissaient. Contrairement à sa cadette qui était née juste après le drame, Elyne avait vécu le divorce de leurs parents. Cela aurait pu se passer comme n'importe quel autre divorce : dispute ou accord, passage chez l'avocat puis au tribunal, déménagement, fin de l'histoire. Pourtant, la jeune fille avait eu droit à une version un peu plus complexe et surtout, un peu plus violente.

Quelques mots seulement, prononcés par sa mère : « Je ne veux pas la garder ». Alors qu'elle était enceinte de Mina depuis quelques mois, elle se voyait refaire sa vie avec un autre homme, laissant derrière elle sa première fille qu'elle ne voulait déjà plus considérer. Quant à Lenny, son père, il en était tout simplement incapable ; s'il n'était pas au bureau ou en voyage d'affaires, il traînait les bars et passait son temps à aborder des jeunes femmes parfois candides, parfois avides d'argent, ou parfois les deux. Bref, si tout semblait opposer les géniteurs d'Elyne, l'adultère leur faisait un point commun.

C'est ainsi que la jeune fille, n'osant s'exprimer à propos de sa situation familiale à la psychologue qui lui avait été attribuée, s'était retrouvée malgré elle chez maman, puis chez papa, et inversement. Sans que ni l'un, ni l'autre, ne veuille s'en occuper.

Oh, elle n'était pas maltraitée. Elle était nourrie, logée, vêtue. Elle avait même un peu d'argent à Noël et pour son anniversaire. On l'emmenait à l'école, on lui achetait ses fournitures. Sans doute la pression juridique y était pour quelque chose, mais ses deux parents avaient fini par accepter de lui accorder un minimum d'attention. Ils ne voulaient pas de leur fille, mais pas au point de la laisser aux assistantes sociales.

Nos nuits d'ivresseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant