✧ | 22 - ❝ les cœurs ne dorment jamais ❞

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La petite foule de visiteurs fut brassée par un léger mouvement. La soudaine chute d'Elyne n'impressionna toutefois personne, et c'était à celui qui lui marcherait dessus le premier. Les talons mouillés, les baskets défraîchies, les bottes d'hiver... On l'évitait plus ou moins, ne prêtant pas vraiment attention à l'état de la jeune fille. Il y avait mieux à faire, et puis, une adolescente au sol et en larmes n'allait pas empêcher les touristes de profiter de ce pour quoi ils avaient dépensé, n'est-ce pas ?

Elyne tenta de respirer plus profondément, sentant l'angoisse monter à une vitesse folle. Elle était trop loin de la terrasse à l'air libre, l'oxygène lui semblait presque inaccessible, et tous ces gens qui allaient et venaient autour d'elle, leurs pas, leurs discussions, les langages qui se mêlent et se confondent, les bruits de flash d'appareil photo bas de gamme, les odeurs de froid et d'humidité...

Elle plaqua ses mains sur sa bouche, prise d'un haut-le-cœur soudain. L'estomac au bord des lèvres, Elyne pleura d'autant plus, enfermée dans un silence inquiétant.

— Tu peux te lever ? lui souffla tout à coup une voix familière, comme venue de nulle part.

La lycéenne leva les yeux, le regard tremblant, avant de secouer la tête. Minseo se tenait là, devant elle, offrant sa paume et son aide. La mine défaite et les poumons meurtris par les fortes et brûlantes inspirations qu'elle tentait de réguler depuis le début de sa crise d'angoisse, Elyne se sentit bien vite honteuse.

Mais elle n'eût pas le temps de se maudire intérieurement d'apparaître ainsi face à sa camarade ; la jeune fille attrapa son bras, puis son dos, avant de la soutenir délicatement et de la ramener sur la plateforme de l'observatoire.

— Je compte, et tu respires, ordonna-t-elle.

Elyne n'osa pas rétorquer, quand bien même son fragile état l'en empêchait. Elle ferma alors les yeux, et se cala sur les paroles de Minseo. Un, deux, trois... On bloque. La bise hivernale qui les frappait lui faisait du bien. Elle profita de ces bouffées d'oxygène salvatrices pour reprendre le contrôle de sa respiration. Un, deux, trois... On souffle.

— Encore une fois, déclara gentiment Minseo.

L'adolescente s'exécuta. Puis, elle ouvrit ses yeux embués, comme toute droit sortie d'un mauvais rêve.

Sa camarade l'observait avec attention, son regard trahissant une réelle inquiétude. Elyne sentit son cœur s'emballer et sursauta soudainement à l'idée d'une nouvelle angoisse qui s'emparerait de tout son être.

Mais les battements qui résonnaient jusque dans ses tempes n'étaient plus de l'ordre de la panique. Au contraire, ils traduisaient un sentiment bien plus apaisant, et la jeune fille se surprit elle-même lorsque qu'elle vit son propre corps se jeter dans les bras de Minseo.

— Tu... ça va ? bégaya cette dernière face à l'étreinte si spontanée de l'adolescente.

Elyne ne trouva pas de mot assez juste pour répondre en toute transparence. Elle se contenta de serrer cette fille de toutes ses forces, trouvant en elle un point d'ancrage stable et évident. Dans cette nuit constellée d'éclairages artificiels, il lui semblait tout à coup voir en la simple lycéenne qu'elle avait dû se coltiner depuis le début de son voyage une véritable lumière.

Douce et flagrante, rassurante et évidente, Minseo se tenait là, sur cette plateforme marquée par le passage des touristes, et Elyne ne pouvait se résoudre à la lâcher.

Les secondes s'égrenaient, s'accumulant en de petits tas de plus en plus hauts à mesure que les deux filles restaient scotchées ensemble. Et puis, Elyne décida de couper court à la connexion qui s'était formée entre elles. Ce moment d'égarement avait assez duré, n'est-ce pas ? Sans compter qu'elle risquerait de ne plus pouvoir regarder l'adolescente en face suite à cet incident.

— Merci, vraiment, réussit à balbutier la jeune fille, encore toute bouleversée par ses propres émotions.

Mais ses efforts de contenance furent balayés par la main chaude de Minseo, qui s'attarda autour des épaules de sa camarade, avant de glisser vers l'arrière de sa tête.

En un petit instant, les deux corps furent à nouveau l'un contre l'autre. Et en une fraction de seconde, la tendresse du geste de l'une sur les cheveux de l'autre apaisa les cœurs un peu trop turbulents. Les mèches d'Elyne s'enroulèrent dans les doigts bienveillants de Minseo, bloquant face aux quelques légers nœuds qui osaient bloquer certaines directions.

Puis, il y eût des morceaux de mots leur priant de laisser la place à qui voudrait admirer la vue. Il y eût des souliers humides écrasant leurs pieds fatigués d'être restés debout si longtemps. Il y eût ce dernier coup d'œil à la ville peinte en noir, éclairée par les néons des bureaux et les lampadaires des rues nocturnes.

Les deux filles se ruèrent ensuite vers l'ascenseur avant de retrouver la terre ferme, redevenant minuscules aux yeux des grands buildings qui les surplombaient.

— On rentre ? lâcha la voix de Minseo, malgré un ton qui proposait tout le contraire.

Il était tard, il faisait nuit, mais la ville restait encore illuminée. Tant que quelques éclats de lumière veillaient encore sur elles, les deux adolescentes étaient libres d'explorer ce monde d'une si belle noirceur.

— Pas maintenant, lui répondit finalement la petite voix d'Elyne, comme liée aux pensées de sa camarade.

La réponse de la jeune fille amena une pluie d'or dans les yeux de Minseo, qui parût tout à coup toute excitée. Son regard comme son sourire étaient intraduisibles, mais à cet instant, Elyne se fichait bien de comprendre quoi que ce soit.

Il y avait de ces nuits différentes des autres, et Minseo lui donnait envie de découvrir ce que celle-ci leur réservait.

— On dit que New York ne dort jamais, souffla simplement la lycéenne avant d'attraper la main de sa camarade.

Et au cœur de la nuit, portées par l'insomnie de cette ville-lumière, les deux adolescentes traversèrent les avenues sans s'arrêter. Où est-ce que Minseo les emmenait ? Elyne n'en avait aucune idée. La seule chose dont elle était sûre, et aussi fou cela pouvait-il paraître, c'était qu'elle lui faisait confiance.

Dans ce genre de nuit, face à l'ivresse de son adolescence, Elyne aurait accepté que cette main l'amène jusqu'au bout du monde.

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Nos nuits d'ivresseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant