Nos nuits d'ivresse

✧ | 13 - ❝ à travers la vitre ❞

Après des heures de vol, quelques légères secousses finirent par tirer les deux filles de leur sommeil, qui avaient fini par s'endormir profondément. Le trajet touchait bientôt à sa fin, et il ne restait plus beaucoup de kilomètres à parcourir avant qu'Elyne et Minseo ne puissent fouler le sol américain.

Lorsque les adolescentes reprirent totalement leurs esprits, un continent totalement nouveau les saluait depuis la terre ferme. La plupart des voyageurs avaient le nez collé à la vitre de chaque hublot, fascinés par l'étendue qui s'étalait en contrebas. Malgré le froid du mois de février, le soleil du début d'après-midi, que les français avaient quitté quelques heures auparavant, se reflétait doucement sur l'Atlantique avant de rejoindre les immenses bâtiments qui décoraient les côtes déjà visibles au loin.

Elyne filmait le décor d'une main, tandis que l'autre restait plaquée sur la fenêtre arrondie alors qu'elle admirait la vue d'en haut. Tout semblait soudainement magique, et la jeune fille sentit son cœur sautiller de joie à mesure que l'avion se rapprochait des terres. Sur ses lèvres se dessinait une joie évidente qu'elle ne prenait pas la peine de dissimuler.

A sa gauche, Minseo restait de marbre, sans oser déranger Elyne. Sa camarade semblait fascinée par le décor qui apparaissait sous leurs pieds, et la lycéenne se voyait mal gâcher ce moment. Après tout, Elyne avait dû en rêver pendant bien plus longtemps qu'elle ! Cette pensée heurta la jeune fille de plein fouet, qui décida alors de rester en retrait, quitte à ne pas profiter de la vue extérieure. Ce n'était pas bien grave, et sa compagnonne était sans doute mille fois plus légitime de rester collée au hublot. Enfin, ce que sa raison lui soufflait entrait pourtant en collision avec son cœur tout serré, qui lui donnait l'impression de louper quelque chose d'important, mais qu'elle n'avait pas le droit d'y prendre part.

Satisfaite de sa capture d'une dizaine de photos, Elyne se recala tranquillement dans son siège, l'air ravi. L'avion n'avait même pas encore atterri que tout lui paraissait déjà fabuleux. Pourtant, l'attitude de sa voisine attira son attention ; s'était-elle abstenue d'admirer le ciel et l'ensemble du paysage pour lui permettre à elle seule d'en profiter ? La jeune fille semblait perdue dans ses pensées, mais il était facile de voir son regard foncé jeter des coups d'œil en direction du hublot et des autres voyageurs.

— On peut échanger de place, si tu veux regarder, lâcha-t-elle avec une pointe d'hésitation dans la voix.

Prise en flagrant délit, Minseo se mit à rougir légèrement, avant d'acquiescer et de remercier sa camarade dans un murmure. C'était évident qu'elle aurait pu demander à Elyne de se décaler quelques instants, et le fait que cette dernière lui propose de lui céder sa place la rendait presque honteuse. Elle accepta cependant le geste surprenant mais doux de la lycéenne et intervertit sa place avec elle. Puis, elle se laissa happer par la vue qui s'offrait à elle : la beauté des reflets dorés sur la grisaille encore hivernale de la ville, ce territoire totalement nouveau lui paraissant à la fois lointain et proche, inconnu et familier, terrifiant et merveilleux.

Elyne cherchait les pupilles de Minseo, dont le regard s'était illuminé en posant les yeux sur le monde extérieur. La jeune fille se félicita intérieurement de son action, bien que la rancœur qui coulait encore dans ses veines et la légère sensation de supériorité qu'elle ressentait ne voulussent pas partir.

L'annonce de l'atterrissage imminent permit aux deux filles de reprendre leur place initiale sans un mot. Pour autant, alors qu'elles attachaient leur ceinture, Elyne vit bien que quelque chose s'était allumé dans le regard de sa camarade. Celle qui semblait déborder d'émotions et de fragilité était désormais ragaillardie par cette nouvelle aventure qui l'attendait les bras grands ouverts. De même, Minseo avait vu le visage de l'autre lycéenne se dérider petit à petit tandis que l'avion se rapprochait de la ville et de l'aéroport. Petit à petit, New York faisait son effet sur les deux adolescentes, et toute la pression qui reposait sur ce voyage s'évaporait peu à peu dans l'air ambiant, jusqu'à rejoindre les courants qui animaient l'Océan en contrebas.

Une douzaine de minutes plus tard, l'avion atterrissait enfin. Les deux jeunes filles se mirent à suivre le mouvement des autres voyageurs – cette fois-ci sans que l'une ne tente de semer l'autre – jusqu'au passage de la douane. Elles purent ensuite récupérer leurs bagages sans trop de difficultés malgré la cohue qui se pressait autour d'elles. Puis, elles finirent par trouver le hall principal de l'aéroport, non sans une certaine panique au fond des yeux. Après avoir fait le tour du lieu sans trouver personne avec leur nom sur un panneau, elles finirent par s'asseoir dans un coin, l'air désespéré.

— Je suis sûre que Madame Carteau a tout réexpliqué sur ses papiers, bafouilla Minseo en sortant tant bien que mal les feuilles agrafées de son sac.

Mais l'ensemble de conseils et de recommandations de la jeune femme avait beau être fourni en instructions, les deux lycéennes ne furent pas plus avancées. Une jeune américaine de leur âge ainsi que sa famille s'étant portée volontaire pour les accueillir devait les loger le temps de leur échange, et il était évident que ces derniers devaient se trouver quelque part dans l'aéroport. Du moins, selon les informations d'Ava.

— On a vraiment regardé partout, et plusieurs fois ! lâcha Elyne sans réussir à cacher la panique qui montait dans sa voix. Peut-être qu'ils sont en retard ? Ou alors... ils se sont désistés.

— Ne dis pas ça ! grimaça Minseo. Il doit y avoir une explication rationnelle. Et sinon, on appellera Ava.

Les jeunes filles balayèrent une nouvelle fois le hall d'entrée du regard, sans succès à nouveau. Personne ne semblait ni les attendre, ni les chercher. Un vent de panique souffla dans l'esprit d'Elyne, qui considéra tout de suite les pires scénarios. A mesure qu'une peur jusqu'ici inconnue la gagnait, la jeune fille sentait une rage soudaine monter en elle. S'il n'y avait personne pour les accueillir, c'était sans doute la faute de Minseo ! En se rajoutant au voyage, elle avait peut-être complètement dérangé l'organisation des familles d'accueil américaines ?

Elyne paniquait intérieurement, ne sachant comment contrôler l'inquiétude et la colère qui se mélangeaient en elle à cet instant. Quant à Minseo, elle tenta de garder son calme tant bien que mal et composa le numéro d'Ava Carteau, les mains tremblantes. Il devait être près de vingt-deux heures en France, mais elle priait pour que la jeune femme réponde. Après tout, elle avait promis d'être disponible au besoin, n'est-ce pas ?

La jeune fille tenta d'appeler leur responsable, sans pour autant obtenir de réponse au bout du fil. Elle réessaya encore une fois, puis deux, puis laissa un message vocal. Toujours rien. A côté d'elle, Elyne se rongeait les ongles jusqu'au sang, bouillante de colère et d'angoisse. Minseo ne savait plus quoi faire. Elle essayait de ne pas laisser la terreur d'être seule dans un autre pays avec sa camarade la gagner, prenant inconsciemment la responsabilité de leur devenir pour les prochaines semaines. Il fallait bien qu'au moins une des deux filles garde la tête froide, et l'adolescente n'avait pas d'autre choix que d'endosser ce rôle.

Les deux filles, assises par terre au milieu de leurs bagages, en plein cœur de l'aéroport de New York, sentaient peu à peu le désespoir envahir leurs cœurs. Alors, dans un acte cependant dépourvu de tout espoir, Minseo décida de rappeler Ava une dernière fois qui, de manière miraculeuse, répondit enfin. Soulagée d'avoir une personne de confiance au téléphone, elle lui expliqua la situation de but en blanc, sans même reprendre son souffle.

Mais la voix inquiète d'Ava n'augurait définitivement rien de bon.

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