✧ | 04 - ❝ qui est de mèche ? ❞

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Cela faisait trois fois que Minseo recommençait sa queue de cheval, en vain. En face d'elle, le miroir semblait la narguer. Ses bras étaient devenus douloureux, et elle aurait mieux fait de laisser tomber l'idée de se coiffer convenablement. Pourtant, la jeune fille refusait de lâcher l'affaire.

— Mais pourquoi est-ce qu'il y a toujours des bosses ? s'écria-t-elle d'un air désespéré, la voix entrecoupée par le sanglot qui logeait au fond de sa gorge.

Elle réessaya à nouveau, sans plus de succès, avant de se mettre à pleurer. C'était trop bête ! Elle lâcha tout en même temps : le peigne, l'élastique et ses cheveux, qui se répandirent en mèches d'un noir presque bleuté.

La jeune fille avait beau les avoir lisses, elle avait cependant de grandes difficultés à aplatir lorsqu'ils étaient attachés. Et si ce n'était pas parfait, alors Minseo ne pouvait s'empêcher de laisser la rage prendre possession de ses petits yeux en amande. Les larmes coulaient alors, sans qu'elle ne puisse rien faire d'autre que de se détester.

Cette quête de la perfection l'obsédait constamment. Si elle échouait, si elle décevait quelqu'un, c'était comme si l'arc tendu en direction de son cœur lâchait une bonne fois pour toute, transperçant son être de toute l'amertume du monde. Et ses parents étaient les premiers à tirer sur la corde de temps en temps, lui rappelant sans cesse la hauteur de leurs attentes.

Il n'y avait donc qu'un seul chemin dans la vie de Minseo : l'excellence. L'autre choix – si cela en était un – ne pouvait s'apparenter qu'à un triste déshonneur.

— Si ma mère n'était pas aussi fan de ces foutus cheveux, je les aurais coupés depuis bien longtemps, marmonna-t-elle entre deux larmes.

La jeune fille soupira. Se défaire de l'emprise de ses parents était de plus en plus difficile à mesure que les années passaient, et la situation semblait ne jamais vouloir s'arranger. Enfin, si l'on omettait la proposition quelque peu originale de la conseillère d'orientation. Minseo n'avait pas prévu de parler autant, ni d'être aussi impliquée émotionnellement dans cet entretien qui n'aurait dû servir qu'à ajuster les choix d'orientation pour sa terminale. Elle n'en attendait d'ailleurs pas grand-chose. Pourtant, l'idée de cette Madame Carteau avait légèrement détendu la corde qui menaçait toujours d'envoyer cette flèche de malheur. Partir dans un autre pays, même pour quelques mois... Cela serait une vraie libération.

Il sembla que le fruit de sa réflexion eût une incidence sur la réalité ; son téléphone vibra à l'arrivée d'un mail du lycée. Qui pouvait bien bosser le week-end ?

Minseo déverrouilla son téléphone sans vraiment savoir à quoi s'attendre. Du moins, jusqu'à ce qu'elle découvre l'identité de l'expéditeur, ou plutôt de l'expéditrice : Ava Carteau proposait définitivement une porte de sortie à son quotidien douloureux.

Si la jeune fille était toujours d'accord pour partir, il ne resterait qu'à obtenir l'autorisation de ses parents et à signer quelques papiers avant d'officialiser son inscription. Ainsi, la bourse serait à elle. Ainsi, elle partirait, et pas n'importe où ; aux Etats-Unis, avec une autre fille de première, et ce jusqu'au mois de mai ! Elle avait même l'impression de ne pas mériter ce traitement de faveur, cette proposition qui était tellement hors du commun, mais le mail d'Ava insistait sur sa légitimité à partir ; après tout, c'était en lien avec son projet d'études.

La jeune fille ne savait plus quoi en penser. Tout cela semblait étrangement simple, et surtout terriblement tentant.

Prise d'une soudaine inspiration, Minseo prit son courage à deux mains et descendit discrètement les escaliers en bois sculpté, prenant la température de l'atmosphère qui régnait dans la maison. Mis à part les exclamations de deux de ses frères en pleine guerre virtuelle, tout était calme. Elle vit ses parents prenant posément un thé dans le salon et sauta sur l'occasion.

— Maman, Papa, commença-t-elle d'une petite voix, j'ai quelque chose à vous proposer.

Ils écoutaient. Tout semblait immobile, et pour une fois, la maison lui parut apaisante. Elle se jeta à l'eau et expliqua son projet, mettant en avant sa passion pour les langues et les bienfaits du voyage pour la jeunesse. La jeune fille sélectionnait ses mots avec soin, omettant volontairement son désir de fuir le climat de pression qui l'entourait habituellement. Bientôt, elle s'embrouilla dans ses propres explications, et finit par donner les coordonnées d'Ava Carteau à ses parents.

— Elle peut vous voir dès demain, lâcha-t-elle en guise de conclusion.

Ses parents se regardèrent longuement. Aucun son ne sortait de leur bouche, mais Minseo vit toutes les émotions qui passaient d'un regard à l'autre. Elle se doutait bien que c'était fichu d'avance ; pour autant, elle ne pouvait s'empêcher d'espérer un petit miracle.

— Je ne sais pas d'où tu sors cette idée, mais si la conseillère d'orientation est dans le coup, alors c'est que c'est important, déclara son père. Il faut qu'on en réfléchisse et qu'on en parle de vive voix avec elle.

Sa fille hocha la tête sans oser ajouter quoique ce soit qui aurait pu nuire à cette prise de décision, avant de remonter dans sa chambre. Elle se laissa aller au confort de ses draps mauves et entreprit d'observer par la fenêtre. Le léger soleil doré de février caressait le paysage extérieur et faisait ressortir l'éclat d'un décor encore un peu hivernal.

Minseo ferma les yeux quelques instants, le corps toujours baigné de lumière par les minces rayons qui arrivaient à passer la fenêtre. C'était un peu fou d'y croire, mais la simple idée de prendre l'avion et de partir loin de son foyer la fit sourire. Jeudi, c'était le jour où l'autre élève allait partir aux Etats-Unis. Peut-être l'accompagnerait-elle ?

Cette pensée lui fit du bien. Si Ava réussissait à convaincre ses parents, Minseo allait partir à la découverte d'un pays étranger. Elle ne serait pas toute seule et pourrait enfin profiter d'un autre mode de vie, sans la pression parentale et l'anxiété qui avaient pour habitude de bousiller son quotidien. Elle découvrirait une culture différente, pratiquerait son anglais, visiterait des lieux emblématiques, et surtout, elle pourrait enfin respirer librement.

Quel que soit le résultat de l'entretien de demain, Minseo ne regrettait pas d'essayer. Ce départ, s'il avait lieu, serait la promesse d'une vie nouvelle. Une vie où ses parents lui feraient confiance, et où ils considéreraient sérieusement son choix d'étudier les langues et le monde qui l'entoure.

— J'ai bien le droit d'avoir des rêves, quand même, se murmura-t-elle à elle-même, avant de s'assoupir paisiblement.

Pour une fois, la jeune fille profita d'une nuit de sommeil salvatrice. L'air serein qui décorait son visage endormi dissuada même ses parents de la réveiller pour le dîner.

Et puis, le week-end toucha doucement à sa fin, offrant à l'esprit anxieux de Minseo un confortable repos jusqu'au lendemain.

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Nos nuits d'ivresseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant