Chapitre 3

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Zack


J'arrive aux urgences, décontenancé à l'idée d'y rejoindre Matt. En vérité, la simple éventualité de me retrouver coincé avec lui me dérange autant qu'elle me semble indispensable. Que je le veuille ou non, nous devrons bien crever l'abcès. Et le plus tôt sera le mieux.

À peine les ambulanciers franchissent les portes du service qu'une infirmière me prend en charge. Celle-ci effectue mon admission tout en me posant un véritable interrogatoire avant de noter mes constantes, pour ensuite me refiler une blouse. J'effleure le tissu, une grimace déformant mon visage à la perspective de revêtir l'horreur. Moi qui m'étais juré de ne plus remettre les pieds ici, me voilà obligé d'adopter le dress code en vigueur. La preuve que mon hypocrisie dépasse toutes les frontières. Bon sang, je ne suis même pas fichu de tenir mes propres résolutions ! J'abandonne mon uniforme et avec lui, le parfum âcre des flammes. J'avoue, cette odeur commençait à me flanquer la nausée, mais pas autant que les effluves de désinfectant dégagé par cette chemise d'hôpital. Séparément c'était déjà une épreuve, ensemble ça devient insupportable.

Mon périple se termine aux triages avec tous les autres patients. L'espace, plein à craquer, encombré de brancard en tous sens, de fauteuils roulants et d'une malheureuse chaise vide me ramène en arrière. Allongé sur cette connerie de brancard, je refuse de retomber dans les abysses pour me lancer à la recherche de mon ami. Je scrute chaque recoin de gauche à droite, sans succès. Matt reste introuvable et cette vérité me terrifie. Son action au sein de cet immeuble en flamme aurait dû l'obliger à consulter un médecin. Après tout, son inhalation de fumée s'avère plus conséquente que la mienne. À moins que quelque chose ne se soit produit  ?

Étranglé par mes propres craintes, je hèle la première personne qui passe.

— Excusez-moi, vous n'auriez pas pris en charge un autre pompier ?

L'aide-soignante me dévisage une seconde avant de répondre :

— Pas à ma connaissance, vous êtes le seul.

Je fronce les sourcils. Notre chef a dû lui notifier la marche à suivre et vu l'assiduité avec laquelle il s'attache au protocole, Mathieu n'a pu déroger à la règle. Alors, où est-il ?

Le regard fixé sur l'affiche en face de moi, je compte les minutes, priant pour que mon calvaire cesse enfin. Il ne fait que commencer, susurre ma conscience. Trop vite, l'atmosphère pesante emprunte de détergent agresse mon odorat pour mieux infiltrer mon corps, bien plus que celle de mon uniforme. Je suffoque. Rien ne me sera épargné. J'aimerais m'échapper, je rêve d'espace et de paix. Un endroit où il ne serait pas. Les sons métalliques des brancards, les plaintes des patients, les pas précipités de l'équipe médicale s'amplifient, bourdonnant dans mes tympans. L'agonie me guette. Je me ronge les ongles avant de me raccrocher au néant. Décidément, je transgresse toutes mes bonnes résolutions. Je m'assieds, attrape ma veste pour en ressortir d'une main malhabile la breloque. Le morceau d'acier, suspendu au bout de mon index suit le mouvement de balancier exercé par la gravité et me replonge la tête sous l'eau, exhumant ce poids qui compresse ma poitrine. Je ferme mes paupières avant que mes lèvres s'étirent et qu'il ne s'invite.

Alexis était quelqu'un de superstitieux, un trop d'ailleurs. Avec lui inutile de vouloir passer sous une échelle, ou de croiser ses couverts. Combien de fois l'ai-je charrié sur ces croyances farfelues ? Je le revois, installé à mes côtés dans le véhicule d'interventions, hypnotisé par le vas et viens de ce minuscule casque de pompier. Il avait fait de cette babiole son porte-bonheur, d'aussi loin que je m'en souvienne il l'a toujours eux. Pour nos exams, lors des journées de JSP, même pendant ses rendez-vous amoureux, ce machin ne le quittait pas. Quoi de plus normal ? On a tous nos petits tocs, ces rituels auxquels on se cramponne pour échapper au stress, aux aléas de la vie. Lui raccrochait son existence à ce porte-clés. Moi je puisais ma force en lui. Mon binôme. Il possédait ma confiance. Pleine, entière et sincère. Ensemble nous étions invincibles.

Je te retrouverai toujoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant