Chapitre 4

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Alice

Une semaine... Il y a une semaine, je respirais à pleins poumons, ne rencontrant mes fantômes qu'à la tombée de la nuit au moment où Morphée m'enlaçait dans ces bras. Cette fois, tout est fichu. Quoi que j'entreprenne, ils me poursuivent. Je détaille l'enveloppe emprisonnée entre mes doigts, décortique l'écriture mal dégrossie inscrite au recto et espère. Espère que toutes mes peurs ne soient qu'éphémères, que la boule lestant mon estomac s'apparente à un malentendu. J'ai pris toutes les précautions possibles. Personne ne sait où je me trouve, pas même mes parents, alors pourquoi ce courrier ?

Je retourne à la correspondance vierge de destinataire pour finir par l'ouvrir. Paralysé par mes craintes, je ne bouge pas, sentant le poids froid peser sur ma poitrine.

Je reconnais tout de suite la photographie de l'immeuble terne accueillant le bar karaoké Groove box. Notre endroit favori de Strasbourg, situé non loin de l'église de Saint-Pierre le vieux. Un sourire au goût amer étire mes lèvres. C'est là-bas que nous nous sommes rencontrés, là-bas ou tout à commencer. Ma respiration se suspend, quand un milliard d'images se superposent dans ma tête, réveillée par les quelques mots griffonnés sur la carte. « Tu sais que j'ai du mal, encore à parler de toi. » Je me cramponne à cette phrase comme on s'agrippe à une bouée de sauvetage. Elle est le témoin de mes angoisses et attise la rancœur qui m'habite en permanence. Sans elle, je pourrais tourner la page, écrire un nouveau chapitre de mon existence. Mais elle m'enserre, plante ses griffes acérées trop loin dans ma poitrine, s'insinue entre mes cordes vocales m'empêchant de hurler. Elle a fait de moi, ce que je suis aujourd'hui : un être bousillé. Je décèle trop tard cette brûlure au coin de mes yeux, tout comme cette larme qui roule le long de ma joue. Même après tout ce temps, je m'abîme encore. J'aurais dû m'écouter et jeter cette lettre sans lui donner la possibilité de m'atteindre. Parfois, l'ignorance s'avère l'unique moyen de survivre.

Je me redresse vivement quand des bruits de pas en provenance de la cour me font craindre le pire. Sans réfléchir, je me lève, essuie mon visage avant de me débarrasser de la correspondance au fin fond de mes affaires, bien caché dans les méandres de mon sac. Un coup sec donné contre la porte et là voilà qui apparaît.

— Alice, les premiers clients sont installés, scande Clara sur le seuil.

Je hoche la tête, retire l'élastique autour de mon poignet puis tire mes cheveux en arrière pour former une queue-de-cheval.

— J'arrive tout de suite.

Ma réponse semble lui convenir puisqu'elle retourne sans attendre en salle.

Travailler me sera salutaire. Oui, j'ai besoin de mettre en pause mon cauchemar.

Je termine de me préparer, noue mon tablier autour de ma taille avant de refermer mon casier. J'inspire profondément, jette un dernier coup d'œil au miroir accroché au mur. J'ignore ce que je cherche dans ce reflet. Peut-être la confirmation de voir mes erreurs placardées sur mon front. La gorge sèche, un long frisson parcourt mon échine. Allez, Alice, tu peux le faire.

J'en suis capable. Mettre un sourire sur mon visage, masquer mon mal être derrière les apparences, c'est tout ce que je sais faire. Dans ce cas, pourquoi quitter cette pièce s'apparente à un supplice ? Je secoue la tête, refoule mes doutes puis lisse une énième fois mon uniforme noir et blanc. Ce n'est pas le moment de flancher.

Mes jambes guident mon corps loin de la petite cour intérieure et des vestiaires. Je traverse la cuisine hermétique au monde alentour. Une seule chose compte : mettre le plus de distance entre moi et mon passé. J'atteins la salle, fixe les allées clairsemées. Juste trois tables s'avèrent occupées. Un début timide qui, je l'espère, se métamorphosera au fil de la soirée. Je ne crains rien de plus qu'un service calme, parce que ça nous force à attendre, ce qui amène à la réflexion qui elle-même me poussera vers son souvenir. Et ça, ça ne donne rien de bon. Je m'empare des menus avant d'aller à l'accueil des clients, un sourire plaqué sur le visage.

Je te retrouverai toujoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant