Chapitre 3

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~ Bas les masques ~

Je m'avançai avec assurance vers la grande bâtisse qui nous servait de prison. Bientôt la lumière blanchâtre de la Lune ne pourrait plus m'éclairer et je me retrouverai plongée dans l'ombre menaçante du bâtiment.

Sans ralentir le pas, je me laissai engloutir petit à petit par l'absence presque totale de lumière. Malgré mon assurance apparente, je luttai pour ne pas regarder frénétiquement autour de moi afin d'être sûre de ne pas être épiée par quelqu'un. C'était ridicule je le savais, mais je ne pouvais pas m'empêcher de mettre une main un peu tremblante sur la dague attachée à ma cuisse. On inspire. On expire.

J'avançai vers une petite porte en bois rongée par l'humidité et posai délicatement ma main sur la poignée.

Une légère chaleur se fit sentir au niveau de ma paume de main - scanner biométrique de la main - puis j'entendis un déclic. Je poussai la porte qui grinça sinistrement et entrai.

En face de moi se trouvait un long couloir obscur tapissé d'un papier peint hors d'âge ayant perdu ses couleurs et orné de vieux cadres photos tellement poussiéreux qu'on n'en voyait plus les images. Je frissonai.

Je me souvenais être venue ici avec mon Père une fois lorsque j'étais petite pour assister à mon premier interrogatoire mais à l'époque, ce lieu ne m'avait pas paru aussi inquiétant.

L'atmosphère qui régnait paraissait comme figée dans le temps, chaque grain de poussière semblait être en suspension dans l'air, à jamais flottant dans la pénombre ambiante. Ce décor était décidément bien plus réaliste que je ne le pensais.

Je détournai le regard du couloir et ouvris rapidement la porte qui se situait à ma droite avant d'entrer dans un cagibi et d'en refermer brutalement la porte.

"Princesse Samantha de Delior, annonçai-je aux produits d'entretien périmés et aux balais couverts de toiles d'araignées qui m'entouraient. Demande l'autorisation d'accéder aux étages inférieurs."

Dans la seconde qui suivis, une voix monocorde me demanda de placer mon visage face à un miroir à demi brisé accroché au mur.

Un instant plus tard, l'ascenseur entama sa descente vers le sous-sol qui abritait la prison impériale. Plus je m'enfonçais dans les profondeurs du sol et plus la température diminuait.
Je me souvenais de ça. Le froid. Le givre sur les vitres des cellules. Les nuages de condensation produit par la respiration des prisonniers.

La cabine d'ascenseur s'arrêta enfin et la porte s'ouvrit sur un homme aussi haut que large, barbu, aux sourcils broussailleux et aux cheveux grisonnants éparpillés dans tous les sens. Je dû fouiller quelques secondes dans ma mémoire pour me souvenir de son nom. Hert Umitsy. C'était le gardien de la prison depuis presque un centenaire, un homme vide, sans histoire, né pour recevoir des ordres et les exécuter sans poser de questions. Un homme comme mon Père les aimait.

Je relevai la tête et entrai dans le rôle du personnage froid et hautain de la Princesse Héritière que j'étais.

"Conduisez moi dans la salle d'interrogatoires et amenez moi le toutou de Cawdal Morn" ordonnai-je sans même le saluer.

Les petits yeux noirs du gardien se plantèrent un instant dans les miens mais je n'y vis aucune trace de défi. Seulement une profonde concentration, comme s'il réfléchissait continuellement à un résoudre un dilemme impossible. Il détourna les yeux pour me contourner et refermer la porte de l'ascenseur.

"Je crains, votre Altesse, de ne malheureusement pas pouvoir obéir à vos ordres sans désobéir à ceux de votre respectable Père."

Je serrai les dents et me forçai à rester calme. C'était prévisible. Trop prévisible. J'avais été stupide de croire que mon respectable Père me laisserait tuer cet assassin sans me mettre des battons dans les roues. D'ailleurs pourquoi ne l'avait-il pas déjà fait exécuter ? Je connaissais déjà la réponse à cette question, seulement je ne voulais pas y croire.

La réalité c'était que mon Père, mon Père - l'Empereur de l'Empire d'Armesh aussi appelé le Grand Empire - avait engagé des négociations avec Cawdal Morn, Cawdal Morn - le chef du plus grand mouvement révolutionnaire jamais connu depuis que les collons Terriens étaient arrivé sur Snator - pour discuter les accords de la libération, la libération, de l'assassin qui avait tué ma petite sœur. Tranquillement.

Si j'avais pu j'aurais hurlé. De rage. De colère. Contre mon Père. Contre le tueur de Cawdal Morn. Contre la planète entière. Mais je restai calme. Impassible. Car tel était le rôle qu'on m'avait attribué dans cette ridicule pièce de théâtre. Celle de la merveilleuse petite princesse qui parlait quand on lui demandait et qui souriait pour distraire les gens.

On inspire. On expire.

Bien sûr, j'aurais pu agir comme mon Père me l'avait appris, j'aurais pu dire à Hert Umitsy d'une voix mielleuse que cela faisait déjà 87 longues années qu'il travaillait ici et que s'il n'avait pas envie de partir à la retraite plus tôt que prévu, il avait tout intérêt à me laisser faire ce que je voulais faire sans rechigner mais je n'y arrivais pas.

Parce qu'en voyant cet homme face à moi, la tête bien haute et les yeux baissés en signe de soumission, je ne pouvais m'empêcher de voir un homme trop fatigué pour relever les yeux et me défier. Trop fatigué pour supporter les caprices d'une palatine en colère.

Alors pour la première fois depuis un sacré paquet d'années, j'abandonnai mon rôle de Princesse aigrie et passai une main sur mon visage las.

" — Vous savez ce qui est arrivé à ma sœur n'est-ce pas ? fis-je d'une voix faiblarde en m'affaissant, abandonnant ma droiture habituelle.

Parce que soudain je n'étais plus qu'une banale jeune fille de 19 ans déchirée par la mort de sa petite sœur.

Le gardien se contenta d'hocher lentement la tête.

— L'homme qui lui a tiré dessus est enfermé dans une de ces cellules, soufflai-je doucement en désignant le long couloir à ma gauche dans lequel étaient alignées exactement 150 cellules en forme de pilules géantes qui flottaient à 20 centimètres du sol et dans lesquelles étaient emprisonnés les détenus. Et en ce moment même, sa libération est en train d'être négociée. Je me tournai vers le vieil homme, ne sachant plus vraiment à qui, de lui ou de moi, je m'adressai. Savoir qu'il a une chance, même infime, de pouvoir sortir d'ici vivant et libre c'est... c'est beaucoup plus que ce que je suis capable de supporter.

Mes mains se mirent à trembler de façon incontrôlée et je dû les plaquer contre mes cuisses pour dissimuler leurs tremblements. Jamais je n'avais été aussi vulnérable devant quelqu'un mais dans l'immédiat ça n'avait aucune importance. Le gardien ne bougea pas.

— Alors je vous le redemande encore une fois Monsieur Umitsy, pouvez vous me permettre d'avoir une petite discussion avec le tueur de ma sœur ? Et lorsque mon Père viendra vous voir - parce qu'il viendra - il vous suffira de dire que je vous ai menacé et forcé à accepter ma requête. De cette façon, vous n'avez pas d'inquiétude à vous faire. Qu'en pensez-vous ?"

Il Suffisait D'une ÉtincelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant