~ L'espoir fait vivre ~
Point de vu de Dean:
Tant de choses avaient changées en trois ans. Les haies qui bordaient autrefois la grande allée menant à l'entrée du palais avaient laissé leur place à de hauts cyprès planté en rangs serrés. Les fontaines disséminées ça et là dans les jardins avaient disparues. Seul l'immense bassin sur lequel débouchait l'allée principale avait gardé sa place. Même la pelouse avait changé. Elle n'était plus coupée à ras. Peut-être avait-on trouvé cela trop strict ? Trop coincé ? On avait alors décidé que la pelouse mesurerait 4 centimètres de hauteur au lieu d'un demi. Whouhou quel changement. Les nobles adoraient faire ça. S'attarder sur les choses sans importances.
Je shootai rageusement dans les graviers de l'allée. Il avait commencé à pleuvoir.
De petites gouttelettes d'eau froides commencèrent à s'écraser une à une dans mes cheveux décoiffés avant de venir recouvrir mon uniforme gris d'une multitude de tâches noires.
Je fermai les yeux. Là-bas, à la guerre, que nous soyons au front ou à l'arrière, jamais il n'avait plu. Le soleil était roi. Et les longues heures que nous passions à attendre sous la chaleur écrasante nous épuisaient bien plus que les combats. Nombre d'entre nous étaient morts, carbonisés par le soleil de plomb et le manque d'eau. Je frissonai en revoyant les lambeaux de peau qui pendouillaient mollement, un peu partout sur les corps brûlés des soldats.
La pluie était devenue torrentielle pourtant je ne bougeai pas. J'avais besoin de ça. D'avoir froid. D'être trempé, rincé par la pluie. J'avais besoin de me rappeller que j'étais là, bien vivant. J'avais besoin d'intégrer les informations au fur et à mesure que mon cerveau les traitait. Le cauchemar était terminé. J'étais de retour à la maison. J'allais revoir Sam. Ma Sam. Et j'oublierai tout. Elle me ferait oublier tout. Oui. Un sourire se dessina sur mes lèvres.
Mais soudain la peur m'envahit. Et si elle ne m'aimait plus ? Trois ans, c'était long. Suffisamment long pour oublier une amourette inévitablement vouée à l'échec. Suffisamment long pour m'oublier, moi.
Je me mis à courir vers l'entrée du palais. Non, jamais elle n'aurait fait ça. Mais le doute s'insinuait dans mon esprit. J'avais peur. J'étais terrorisé à l'idée que lorsque j'ouvrirai la porte de sa chambre, elle ne soit pas seule. Non. Pitié non.
Je déboulai dans l'entrée déserte du palais en laissant une traînée d'eau derrière moi et m'apprêtai à monter les escaliers qui menaient à l'étage.
Je n'étais pas seul. Il y avait quelqu'un dans les escaliers.
J'hésitai un instant et me cachai derrière un pilier en marbre qui passait par là. J'avais le droit d'être ici, j'avais même une chambre dans le palais. Ce qui m'embêtait, c'était que si je croisais quelqu'un, n'importe qui, j'allais devoir respecter l'étiquette. Sourire. Être poli. Enchaîner courbettes sur courbettes pour exprimer le profond respect que j'avais envers mon interlocuteur. Or je n'allais pas avoir la patience de faire ce genre de conneries.
Je voulais juste voir Sam, la serrer dans mes bras et qu'importe si elle aimait quelqu'un d'autre.
La personne dans l'escalier semblait être en train de s'étouffer.
"Putain, murmurai-je pour moi-même. J'ai pas tout votre temps, allez mourir ailleurs."
Oh si seulement j'avais su.
Le silence revint enfin. Je sortis de ma cachette et montai les marches au pas de course. J'aperçus alors un corps étendu sans vie à quelques marches de moi.
Dans la pénombre ambiante, je crus un instant qu'une marre de sang s'étendait autour de la tête de la jeune femme mais je réalisai en m'approchant que ce n'était que ses cheveux. Je déglutis péniblement et m'accroupis pour essayer de distinguer son visage.
Je sursautai violemment et retombai douloureusement, quelques marches plus bas.
C'était Sam que j'avais vu.
Mais entre l'obscurité et mon esprit embrouillé, je ne croyais plus mes yeux.
Mon corps entier m'hurlait de me relever pour aller à nouveau regarder son visage. Alors je cedai. Je me levai brusquement et passai mes bras sous le corps inerte face à moi avant de le soulever avec plus d'aisance que ce que je le pensais. Je ne regardai pas son visage. Parce qu'en réalité, je n'étais pas sûr de vouloir savoir qui était dans mes bras.
Mes pieds me guidèrent d'eux même jusqu'à ma chambre. Elle, contrairement aux jardins, n'avait pas changé. Chaque meuble, chaque objet, chaque particule de poussière avait gardé sa place. Une bouffée de nostalgie me submergea lorsque je repensais à l'adolescent qui avait grandi ici et que j'étais avant de partir à la guerre.
"Evy...?" murmura brusquement le corps et à cet instant, je sus que c'était Sam. Parce que personne d'autre qu'elle n'avait le droit d'appeler sa sœur Evy. Même pas moi.
"Sam ? chuchotai-je en la déposant délicatement sur le lit. Tu m'entends ?"
Un sanglot étouffé me répondit. Je pinçai les lèvres. Je ne savais pas où elle se trouvait, en rêves ou en cauchemars, mais je savais qu'elle souffrait. Parce que les nouvelles allaient vite ici comme à la guerre, surtout lorsqu'il s'agissait de la famille impériale.
Il était alors évident que j'étais au courant pour sa sœur.Du bout des doigts, j'effleurai la peau trempée de son visage. Elle était brûlante. Je me levai et allai humidifier une serviette de bain avant de la lui poser sur le front dans l'espoir que sa fièvre baisserait.
Ses vêtements mouillés, collés contre sa peau devaient lui donner froid car elle tremblait comme une feuille.
"Merde" laissai-je échapper en réalisant que j'allais devoir les lui enlever.
Je passai une main sur mon visage exténué et me forçai à respirer calmement.
— Sam... va falloir que tu me pardonnes, grognai-je faiblement.
Pour toute réponse, une grimace de douleur se dessina sur sa figure.
— Pardonne moi, gémit-elle. S'il te plaît.
Je ne savais qu'elle ne s'adressait pas à moi mais ces paroles me firent sourire.
— C'est toi qui devras me pardonner andouille, murmurai-je en fermant les yeux.
Je saisi son corps tremblant par les épaules et entrepris de lui retirer sa robe. Même à l'aveuglette, j'avais la désagréable impression de lui voler sa chasteté, de la salir avec mes mains trop bourrues, trop nerveuses pour être celle d'un prince, trop ensanglantées par le sang de ceux qui avaient péri sous mes balles pour être celles de quelqu'un de bien. Elle méritait mieux. Beaucoup mieux.
~~~
Une fois sa robe retirée, je lui frictionnai énergiquement le corps avec une serviette sèche et m'assurai que ces cheveux n'étaient pas trop mouillés avant de les attacher approximativement pour éviter qu'ils ne lui tiennent froid.
Je tournai le dos au lit, ouvris les yeux et me dépêchai d'attraper la première chose qui me tombait sous la main. Je retournai ensuite m'agenouiller près du lit en veillant à garder les yeux clos, et lui enfilai ma chemise. Après l'avoir glissé sous mes draps, je m'assurai qu'elle avait cessé de trembler avant de l'embrasser sur le front.
"Bonne nuit Sam, chuchotai-je. Je t'aime fort."
Un sourire contrit se dessina sur mes lèvres.
"J'espère juste que c'est réciproque."
Je m'assis sur le sol, complètement crevé et fermai les yeux.
VOUS LISEZ
Il Suffisait D'une Étincelle
RomanceToutes les histoires commencent par un début pas vrai ? Pourtant la mienne débute par une fin. La fin d'une vie. La fin d'un monde. Mon monde. Une flamme s'allume dans mon cœur. La rage. Parce qu'après la mort, les larmes et la douleur naissent la c...