- Chapitre 1 -

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«  Tu ne manquera jamais de tristesse. Laisse celle d'aujourd'hui couler et accueil celle de demain comme-ci elle n'arrivait jamais. »

Dans un élan, l'azur froid caresse mes orteils enfouis sous la couverture d'ambre fine. Le va-et-vient du courant emporte mes maux dans une danse délicate défiant mon âme tourmenté au gré de ses secousses.

Au loin, les nuages d'un voilier s'étendent vers l'horizon, coutumier des horaires de l'aube chaude de l'été. Une douce chaleur émane de l'étoile scintillante du matin, cajolant mes cheveux flamboyants et ma peau teinté par son exposition répété.

Le vent frais de la côte se lève emportant les pans de mon vêtement au fil de ses envies.

Perdu dans les méandres de mon esprit, j'aperçois les quelques moustachus et leurs grands fils de pêche embarqués sur leurs commodités délabrés un peu plus au nord, tout en me saluant pour certains.

Les yeux voguant dans le flou d'un chalutier prêt à naviguer, je sens une main se reposer sur mon épaule.

Les signes d'un vécu épuisant se profil dans mon champ de vision captant mon attention sur une femme devenue frêle.

" N'es-tu pas lasse d'observer ces vieux bougres chaque matin ?

- L'étais-tu lorsque le vieux bougre en question n'était autre que papi ?

- J'étais plus que lasse ma petite fille.

- Pourtant pas un seul jour tu n'y as dérogé.

- C'était seulement pour pouvoir lui remettre les pendules à l'heure.

- Ne me la fais pas à moi grand-mère.

- Bon arrête-moi tes analyses et viens plutôt manger."

D'un sourire désolé, j'attrape sa main ridée par la vie. Alors que ses prunelles brunes m'observent, se remémorant surement des souvenirs lointains, un cliquetis constant vient surprendre mes oreilles.

Mon ainé n'en tient pas rigueur et se retourne vers sa demeure d'un bois bleu blanchi par les vents. Ma curiosité dépassant ma raison, je m'accorde une minute de plus pour interroger le sable à mes pieds, espère tel un chercheur d'or tomber sur un trésor.

Un reflet se fait voir entre les miettes de coquillages. D'une main tendue, j'attrape ce qui semble être un débris de verre.

Lorsque émerge une bouteille bouchonnée emplie d'un parchemin, j'ai l'impression d'être l'actrice d'un mauvais film romancier.

Tel un crabe, je pince le liège dans l'espoir qu'il se détache du goulot. Je délaisse ma tâche, constatant avec mépris mon échec cuisant face au récipient toujours clos.

Dans un dernier regard vers l'étendu de sel, j'arpente le court chemin de la maison familiale.

Les Caravelles.

Le nom tout en mosaïque de la vieille bâtisse lui va comme un gant. La mosaïque nichée devant l'entrée ne laissant pas de place à l'imagination sur l'époque de sa construction. Plus jeune, je me demandais souvent pourquoi donner un nom à une maison, surtout le nom d'un bateau. Puis en grandissant les réponses me sont venu, en observant l'armature même de la maison qui ressemblait en tout point à l'intérieur d'un navire.

C'est dans ce lieu que c'est articuler une grande partie de ma vie, mes quelques joies, pleurs et déceptions, mes espoirs et trahisons.

La voix frêle de grand-mère me sort de mes souvenirs brumeux.

" Que tiens-tu donc dans ta main jeune fille ? M'interroge la femme de ma vie à peine le pied sur le pas de la porte.

- J'ai trouvé ça au bord de l'eau, penses-tu que je vais découvrir la carte qui me mènera au chaudron d'or des leprechaun ?

- Va reposer cela immédiatement ou tu l'as trouver."

Mon sourire ce fane.

Le visage noir comme la nuit, j'interroge cette femme qui n'est tout à coup plus tellement la même, sans vraiment comprendre son état.

" Ce n'était qu'une blague grand-mère, je ne compte pas partir à l'aventure en suivant un malheureux bout de papier, encore faut-il ouvrir le bouchon.

- Je ne te demande pas ton avis va remettre cette bouteille au fond de la mer avant qu'il ne t'arrive malheur.

- Je ne te savais pas superstitieuse, enfin ce n'est qu'une boutei..

- Vas-tu donc écouter lorsqu'on te parle ?! Balance cette foutue bouteille avant qu'il ne soit trop tard.

- Ok, ok du calme. J'y vais asseyes toi, bois un peu d'eau... Tu es pâle comme la lune."

J'enfile mes chaussures, non sans mal, et me laisse emporter à l'extérieur sous le regard accusateur de mon ancêtre. L'écume ne m'a jamais paru être si proche qu'en cet instant où je devais rejeter en son corps un débris qui ne m'appartient pas. En cette longue minute, ou se tient près de mon cœur les vestiges passé de la vie de quelqu'un, enfermée dans un étau de verre trouble, mon palpitant s'affole comme ballotté entre le vent et les vagues.

Une fois encore allait-on décider de chacun de mes faits et gestes ? "Tu ne dois pas jouer dehors ,c'est dangereux", "Ne t'approches pas de la mer, tu risques de t'y perdre", "Tu dois faire telles études", " Il t'es formellement interdit de fricoter avec des garçons", "Changes tes fréquentations", "Habilles toi plus fraîchement", "Ne sois pas si maladroite" "Comportes toi comme une dame" "Il t'es interdis d'aller nager à partir d'aujourd'hui." "Tu devras te marier à untel l'automne prochain", "Tu dois jeter cette bouteille où tu l'as trouvée".

Je ne voulais plus qu'une chose depuis maintenant plusieurs années, vivre, sans savoir ou aller, détacher les fils de marionnettiste accrochés à mes coudes, quel piètre Pinocchio j'incarne donc. Pour autant, j'obéis, une fois de plus. Le désespoir accroché à mes gestes et la pellicule fine d'eau salée sous mes paupières, je lance de toutes mes forces la bouteille, comme-ci finalement, c'était mon S.O.S que je tentais d'envoyer. Et dans un cri noyer par une bourrasque, j'intime à la fiole flottant dans les flots de m'emporter avec elle.

Mon mal ne fit qu'un tour, et bien vite mes maux se tarirent. "Une fille ne pleure pas, elle supporte" m'avait-on un jour dit. Alors j'applique ce que le mal m'avait appris, obéir et me taire, ainsi fut ma pensée à chaque pas engloutis pas les paillettes d'ambre.

Pauvre pantin..

Les Âmes Scintillantes Où les histoires vivent. Découvrez maintenant