Chapitre 1

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Shôta


Trois minutes.

C'était à peu près le temps qu'il la voyait par jour, quand elle rentrait du lycée le soir en empruntant cette rue mal famée, passant devant l'épicerie, sur le trottoir d'en face. Trois minutes, c'était le seul putain de moment d'égoïsme dans sa journée.

Comme s'il sentait sa présence, Shôta se redressa, sur le qui-vive. Par réflexe, il réajusta la capuche de son sweat noir, cachant le haut de son visage. Du mouvement à sa droite et le bruit d'une porte qui claque dans son dos l'interpellèrent, mais il les ignora.

Trois putains de minutes. C'était tout ce qu'il demandait.

— Je savais bien que je te trouverais ici, lui dit Hisaichi en s'allumant une clope. T'es toujours là, à cette heure.

— Qu'est-ce que tu veux ?

L'oyabun a un nom pour toi.

— Plus tard.

Derrière lui, des membres du Clan remontaient du sous-sol pour se joindre à eux. Il ne leur parlait pas. En réalité, Shôta ne causait pas à grand monde. Ils avaient tous peur de lui, la main armée de l'oyabun depuis qu'il l'avait sorti de l'orphelinat dans lequel il moisissait. Tous le craignaient.

Et ils avaient bien raison.

Seul l'homme à ses côtés, le premier lieutenant du Clan et son unique ami, savait. Savait ce qu'il avait subi. Savait ce qu'il faisait subir.

Et il savait pour sa petite obsession.

— Ça peut attendre, dit ce dernier en l'observant.

Son souffle se bloqua un instant dans sa gorge lorsqu'il la vit arriver. Le soleil se reflétait sur ses cheveux clairs qu'elle avait attachés en un énorme chignon bien haut sur sa tête. Blondinette marchait seule, le sourire aux lèvres, ses écouteurs vissés aux oreilles. Elle ne s'en rendait pas compte, mais tout le monde la regardait.

Personne n'arrivait à sa cheville.

Putain, Shôta n'avait pas tiré un seul coup depuis la première fois qu'il l'avait vu, il y a 3 mois de ça.

Son obsession passa devant le marchand de glace, ralentit, puis décida de ne pas faire de folies. Heureusement, parce qu'à chaque fois qu'elle sortait sa langue pour lécher son cornet, il l'imaginait s'enrouler autour de sa queue. Et aujourd'hui, il n'avait pas le temps de se taper une branlette rapide pour faire redescendre la pression.

Elle arrivait enfin à sa hauteur, en face, à bonne distance. Trop loin de ses mains souillées.

— Tu iras la voir, un de ces quatre ?

Hisaichi.

— Non.

— Pourquoi ? Elle t'obsède. T'étais déjà assez flippant avant de faire une fixette sur une pauvre gamine... Pas besoin d'en rajouter une couche.

— J'ai vraiment besoin de te donner des raisons ? répondit-il sans la quitter des yeux.

Hisaichi garda le silence. Pourquoi ne l'approchait-il pas ? Tout simplement parce que...

— Regardez-moi cette bonasse ! Moi, les lycéennes, ça me fait bander à mort avec leur petite jupe là !

Shôta sentit Hisaichi se tendre, tandis qu'il tirait une latte sur sa clope. Son seul ami se tourna face aux types qui faisaient partie de leur Clan, leur famille.

Plus pour très longtemps.

— Tu tiens tant que ça à te faire massacrer ?

— Pourquoi ?

— Ce n'est pas la lycéenne que la bête mate tous les soirs ? demanda un des jeunes.

Au moins un qui n'était pas trop con. Il l'épargnerait. Malheureusement pour le premier, il devait être fini à la pisse, puisqu'il renchérit :

— Tu m'étonnes qu'il la matte ! Tu crois qu'il la baise ?

Une autre latte. Cet abruti ne l'avait pas vu, il en était sûr. Caché sur le côté de l'étal, il se fondait dans le paysage, comme il savait si bien le faire.

— Chang, je serais toi, j'arrêterai d'ouvrir ma grande gueule, le prévint Hisaichi en s'éloignant un peu.

Parce que lui savait ce qui allait bientôt se passer, au moment où elle disparaitrait de sa vue pour retourner chez elle.

Jusqu'à demain.

Ses yeux se posèrent sur le balancement de ses hanches, puis sur ses fesses à peine couvertes par sa putain de jupe à carreaux trop courte, à moitié cachée par son pull blanc, cette fois-ci, trop grand.

Et la voilà, cette putain de trique.

Enfin, elle tourna au bout de la rue, disparut hors de portée de ses yeux. Il écrasa sa clope dans une cagette de citron yuzu et se redressa face au connard qui allait bientôt le supplier de l'épargner.

— Shôta...

Hisaichi n'insista pas, il savait que c'est trop tard. Chang lui jeta un regard avant de se figer. Vu la terreur qui s'inscrivait sur ses traits, il ne l'avait vraiment pas remarqué. Si cela avait été le cas, il ne se serait jamais permis de parler d'elle comme ça.

Mais il le pensait. Et c'était déjà de trop.

— Putain, Shôta, t'étais là ! Je...

Il l'empoigna par le col de son sweat et le balança à l'intérieur de l'épicerie. Première règle du Clan : pas de témoins.

Jamais.

Hisaichi ferma la porte dans son dos... et Shôta se lâcha. Chang n'eut pas le temps de se relever qu'il lui prit la tête et lui écrasa sur le sol, avant de laisser libre court à la rage qui sommeillait en lui depuis gamin.

Le sang, les larmes, la violence. Voilà sa putain de vie.

Il n'était qu'une arme que l'oyabun pointait dans une direction, semant la mort derrière lui.

Quand des morceaux de cervelle l'éclaboussèrent, Shôta se redressa, essoufflé, le sourire aux lèvres.

Il n'était pas du genre à se mentir, il savait qu'il adorait ça. Il aimait tuer. Il en avait besoin. Le meurtre était devenu une drogue pour lui et chaque shoot le poussait un peu plus dans les ténèbres.

La porte s'ouvrit, Hisaichi entra en silence et baissa les yeux sur ce qu'il restait du corps de Chang avant de les remonter sur lui. Shôta ne doutait pas de ce que voyait son ami : une véritable bête sauvage.

— Tu veux vraiment que je te dise pourquoi je ne l'approche pas ? lui dit-il en retournant au sous-sol, sans attendre de réponses.

— Je vais appeler les nettoyeurs, soupira Hisaichi.

Il n'avait pas besoin d'en dire plus.

Tout simplement parce qu'il n'était qu'un putain de Yakuza.

Yakuza, la bête d'ObiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant