Chapitre 6

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Un voyage peut dans le temps à l'aide du chronographe durer entre 120 secondes et 240 minutes; pour Opale, Aigue-marine, Citrine, Jade, Saphir et Rubis, le réglage minimum est de 121 secondes et le maximum de 239 minutes. Afin d'éviter des sauts incontrôlés dans le temps, les porteurs du gène doivent élapser quotidiennement pendant 180 minutes. En dessous de cette durée, des sauts incontrôlés peuvent se produire en l'espace de 24 heures (voir les procès- verbaux des sauts datés du 6 janvier et du 17 février 1902 Timothy dragneel ). D'après les recherches empiriques menées par le comte de Saint-Germain de 1720 à 1738, un porteur de gène peut quotidiennement élapser avec le chronographe jusqu'à cinq heures et demie, donc 330 minutes. Si ce temps est dépassé, des maux de tête, des sensations de vertige et de faiblesse se manifestent ainsi qu'une forte détério- ration des facultés de perception et de coordination.

Les frères dragneel ont pu le confirmer lors de trois essais particuliers pareillement menés en 1902.

Extrait des Chroniques des Veilleurs
Volume 3, chapitre 1 : « Les mystères des chronographes>>

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Jamais encore je n'avais élapsé aussi confortablement que cet après-midi-là. On m'avait donné un panier, avec des couvertures, une Thermos de thé chaud, des petits gâteaux secs (évidemment) et des fruits coupés en petits morceaux dans une boîte à lunch. J'eus presque mauvaise conscience en me vautrant sur le canapé vert. J'avais envisagé un court instant de sortir la clé de sa cachette et de me rendre à l'étage... mais à quoi bon ? Je ne tenais pas à m'attirer des complications inutiles et risquer d'être surprise. Je me trouvais je ne sais quand en 1953: je n'avais pas demandé la date exacte pour simuler l'apathie et rendre plus crédible mon prétendu état grippal.

Dès que Eric eut décidé de modifier les plans, les Veilleurs avaient été pris d'une agitation fébrile. On m'avait finalement envoyée dans la pièce du chronographe avec un Mr Marley grincheux. Visiblement, il aurait préféré assister à la discussion que s'occuper de moi. Du coup, je n'avais pas osé poser de questions sur l'opération Opale, mais j'avais pris le même air grognon que lui. Durant ces deux derniers jours, nos rapports s'étaient nettement dégradés, mais pour l'instant Mr Marley était bien le cadet de mes soucis.

En 1953, je mangeai d'abord les fruits, puis les petits-fours et finalement, je m'allongeai sur le canapé, bien emmitouflée dans les

couvertures. Malgré la méchante lumière dispensée par l'ampoule au plafond, je ne mis même pas cinq minutes à m'endormir. Me la pensée de l'esprit décapité qui hantait prétendument les lieux ne put m'en empêcher. Je me réveillai fraîche comme un gardon juste avant mon saut de retour, et c'était aussi bien car sinon j'aurais atterri, toujours allongée, directement aux pieds de Mr Marley.

Alors que Mr Marley, qui ne m'avait saluée que d'un bref signe de tite, portait ses notes dans le journal de bord (probablement quelque chose du genre: Au lieu de remplir sa mission, l'enquiquineuse Rubis a glandouillé en 1953 en se goinfrant de fruits), je lui demandai si le docteur combolt était encore dans la maison. Je voulais absolument savoir pourquoi il avait couvert mon mensonge.

-Il n'a pas le temps de s'occuper de vous, répondit Mr Marley. Pour le moment, ils partent tous au ministère de la Défense pour l'opération Opale et moi je n'ai pas pu les accompagner...

A cause de vous planait aussi nettement dans l'air que s'il l'avait prononcé.

Le ministère de la Santé ? Pourquoi ça ? Pas la peine de le demander à Mr Pou-vexé. À son air renfrogné, je comprenais bien qu'il ne me répondrait pas. Il semblait avoir décidé qu'il valait mieux ne plus m'adresser la parole. Du bout des doigts, il me banda les yeux puis il me conduisit sans un mot dans les couloirs labyrinthiques du sous- sol, une main sur mon coude, l'autre sur ma taille. À chaque pas, ce contact m'était de plus en plus désagréable, d'autant plus qu'il avait les mains chaudes et toutes moites. Je m'empressai de m'en dégager quand nous eûmes enfin atteint le rez-de-chaussée. Soulagée, je retirai le bandeau en déclarant que je saurais bien rejoindre toute seule la limousine.

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