Frangipanier

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La pluie tombe sur Paris alors qu'Aline marche mollement en direction de la bouche de métro. Elle pose sa carte sans prendre le temps de vérifier si la borne la laissera passer. Aucune raison pour qu'il en soit autrement. Elle dévale ensuite les kilomètres de souterrains pour rejoindre sa ligne. Les portes s'ouvrent et une masse d'humains se déverse sur le quai. Elle joue alors un peu du coude et finit par se trouver une place entre la paroi froide du véhicule et une poussette avec un chérubin en train de brailler. La routine.

Quand elle arrive enfin devant la tour d'une quinzaine d'étages, elle ne prend pas le temps de vérifier si l'ascenseur fonctionnera. Au bout de trois ans, elle s'est habituée à devoir monter les escaliers sans aide. Après les deux cent quatre-vingt-cinq marches, elle débouche face à son appartement.

Elle pousse la lourde porte qui se coince dans le tas de chaussures, elle ne s'annonce pas : personne n'est là. Elle n'allume pas malgré l'obscurité, cela fait plus de trois semaines que l'ampoule a grillé, mais elle ne l'a toujours pas remplacée. Elle dépose en vrac son manteau mouillé, son sac à main et ses talons hauts qui lui font mal aux pieds.

Devant le frigo, elle hésite, puis renonce finalement à l'ouvrir. Il n'y a rien à l'intérieur, pas besoin de vérifier. Tant pis pour la bière. L'eau ira bien. Son ventre gargouille, alors elle fouille le fond des placards. Elle ne trouve que de vieilles biscottes aussi, elle attrape son téléphone, lance une application de commande. Le repas arrivera pour vingt-et-une heures. Parfait.

En attendant, elle s'enfuit dans la salle de bain, sous le jet chaud. Lorsqu'elle sort, son shampoing à la fleur de Tiaré embaume la pièce. Aline sourit alors pour la première fois de la journée. Elle aime cette odeur sucrée et douce. Ça l'apaise.

Escalier, commande, escalier, manger, film, dormir. Toutes ses soirées se ressemblent. Celle-ci n'y échappe pas et elle s'endort avant de connaître le coupable.



Comme tous les matins, avant de partir travailler, Aline vérifie ses mails et le planning de sa journée. Aujourd'hui, un message important attire son attention : [Objet : Demande de mutation]. Flageolante, elle reste quelques minutes devant le courriel sans oser l'ouvrir. Elle ferme les yeux.

[Madame,

Nous avons le plaisir de vous informer que votre demande de mutation à Saint-Denis a été validée. Nous vous félicitons pour cette opportunité de développer votre carrière au sein de notre entreprise.

Nous vous informons que votre affectation débutera le 25 septembre. Nous vous invitons à prendre contact avec le service des ressources humaines pour organiser les différentes formalités administratives liées à votre mutation (changement d'adresse, transfert de cotisations, etc.). Nous vous demandons également de bien vouloir nous faire parvenir votre adresse de destination pour que nous puissions organiser votre logement.

Nous sommes convaincus que cette nouvelle affectation sera un réel atout pour votre parcours professionnel.

Si vous avez des questions ou des inquiétudes, n'hésitez pas à nous contacter.

Cordialement,]

Fébrile, Aline relit le mail pour s'assurer qu'il est véritable. Une soudaine euphorie l'entoure et elle remercie sa bonne fortune.


La lourde porte de son appartement se referme pour la dernière fois. Sans un regard en arrière, Aline récupère ses bagages et descend avec une joie non cachée les deux cent quatre-vingt-cinq escaliers. Dans la rue, elle hèle un taxi.

En quelques minutes, elle se retrouve à l'aéroport les mains tremblantes, le cœur sens dessus dessous. Elle ne réussit pas à fermer l'œil du voyage. Les douze longues heures de vol lui parurent interminables tant elle avait hâte d'arriver.

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