Chronique du rêve d'Adam

Chapitre 4

A ce moment de la journée, au quartier Les Tiermondeurs, un bidonville à quinze kilomètres au sud, une effusion de mioches dégoulinait de la petite sortie de l'école. Au-dessus de leurs têtes, sur une sorte de panneau en partie décroché, était inscrit à côté d'Espérance, nom de l'école, le crédo de l'institution : Les enfants sont l'espoir de... Le reste était illisible, effacé, sous l'effet du vent comme pour toute chose, ou, par l'infortune qui courtisait ce quartier-là. Tel un essaim d'abeille autour d'une ruche garnie, les petits se constituaient en ordre improvisé devant l'étalage de la vendeuse de "Pinton", un sandwich savoureux au prix misérable, favorisé alors à Tiermondeurs. Il s'agit du pain craquelant avec une sauce au thon liquide, dans une mare d'huile de tournesol. De quoi se remplir la panse en jouant à "la souris qui passe".Eux, les enfants prodigieux, en ces lieux, n'ont pas besoin de se mettre en file indienne comme ils le font le matin en rentrant en classe. La discipline scolaire et éducative héritée de la mère coloniale à bien ses limites. En fait, l'organisation des sénégalais devant un quelconque Accueil, boutique, guichet, institution administrative ou autre, reste informelle, indisciplinée ou auto-disciplinée à la manière, devrais-je peut-être dire. Fallait-il, comme le rouspétait le voisin de Fama la vendeuse, qu'en se séparant de l'impérialisme esclavagiste colonial, garder le fouet qui servait à maintenir les rangs droits et ordonnés ? Non. En mon sens, le fouet n'est bon que pour les connards qui s'en sont déjà servis : pour torturer et soumettre, pour exorciser, ou encore pour multiplier le plaisir. Oui, il y a aussi cette espèce dans la race des connards. Ils sont moins méchants que les autres si leur sujet est également leur partenaire et que les coups sont consentis, osons le dire, toute prise de parti exclue. Mais si c'est celui qui frappe qui prend du plaisir, ça s'appelle un connard mis à nu.Néanmoins, pour ces jeunes âmes encore immaculées, nul besoin de se dire qui et qui était venu en premier ou en dernier. Leur candeur leur permet de garder l'image de l'ordre d'arrivée de manière sincère. Sauf ce qui ont vu des adultes respectables commettre l'injustice, l'ignominie. Malgré leur nombre, leur coordination se manifeste là, dans l'honnêteté et la sincérité qui riment avec leur jeune âge. 

Honnête, beaucoup d'habitant du quartier, amis, ennemis, frères et même parents, ne l'était pas. A l'exception, la vendeuse de sandwich, meilleure amie de Soda, elle-même personnalité très controversée du quartier. Si Soda avait gagné le respect des notables du quartier, des pères de famille respectables à juste titre et, même de certaines dames, des rumeurs couraient sur les lèvres des jeunes du coin. Que Soda étaient une chipeuse de mari à la dérobée, cela ne faisait plus aucun doute pour Talla et les autres jeunes adolescents de la rue.