Souvenirs d'un malade à son échappée

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« Someone You Loved ». Ne vous trompez pas. Ce ne sera pas le titre d'une quelconque confession. C'est simplement la chanson que je passe en boucle depuis des heures (Je camoufle ainsi le fait que cette chanson enivre mon esprit depuis deux jours maintenant).

Je le regarde. Je le regarde depuis que je ne peux plus le voir. 2 jours peut-être 3. J'avais arrêté de compter lorsque les glas de minuit avaient sonné pour la première fois, s'accordant telle une composition avec les glas de sa vie.

J'étais assise. Je ne regardais déjà plus la photo froide et vide que je tenais sans vraiment y prêter de l'attention, tout semblait noir si ce n'était son visage imprimé sur ce papier. Ce visage carré recouvert de barbes, ses lèvres roses se déformant en un sourire agréable et joyeux. Joie trahie par ces yeux marrons noisettes, cachés derrière des lunettes trop grandes qui dévoilait son véritable son état de fatigue. Son nez, comme on en voie que dans les magazines, venait relever un peu plus sa beauté enfantine qui s'effaçait sous ses traits maigres. L'attraction en fond de photo faisait remonter le souvenir de ce jour.

Cette photo datait de deux semaines. Nous étions sortis de l'hôpital où il avait passé le plus clair de son temps ces deux dernières années. Notre destination, et notre localisation 6 heures durant ce jour-là, avait été une fête foraine à 10 min du centre de santé. Nous nous étions gavés de toutes les espèces de sucrerie que nous pouvions trouver sur place. A défaut de pouvoir faire des attractions, activité proscrite à cause de son état de santé, nous nous étions trouvé un coin tranquille et nous étions racontés nos meilleurs contes de fées de notre enfance. Une soirée partagée à trois, et sa dernière journée de joie et de sourire.

Deux jours suivant notre petite escapade la maladie l'avait étreint de toute sa morbide possession. Lui enlevant sens après sens et usage de son corps, il devenait une coquille vide. Le plus dur était qu'il avait gardé sa parole et son ouïe et ne pouvait que nous conter des histoires, comme il le faisait depuis que nous étions enfants.

Deux jours suivant son dernier compte, il s'était échappé du monde des mortels. Un dernier baisé teinté de larme je lui avais donné, mon premier et mon dernier baisé à cet homme que j'ai aimé de toute mon âme, avant son souffle ne se fasse plus sentir. Mon premier mari qui n'aurait, certes, jamais été le père de mes enfants, mais que j'avais espéré être à mes côtés pour toujours.


En accord avec les douze coups de minuit, ma chanson s'arrêtait. J'enlevais mes écouteurs et rangeais la photo dans ma poche. Je me tournais vers le corps sans vie de l'homme qui partageait, encore il y a deux jours, la pièce avec moi. Je collais nos fronts et fermais les yeux. Je me poussais et mis le drap blanc sur son visage. J'étais résolue à ne plus le voir le matin au réveil ou dans la voiture lorsqu'il me déposait à l'école. Je ne verrais plus qu'une image de lui capturé sans âme sur des photos et vidéos.

Je me dirigeais vers la porte que j'ouvris. Une infirmière entra dans la pièce pour vérifier le matériel et son ex-patient qui finira sa course dans une tombe. La faveur faite à ma mère, de ma laisser seule et faire mon deuil, venait de ce fait de prendre fin. Un dernier regard au drap blanc ou une bosse faite par son nez nous laissait deviner où se situais sa tête.

Je marchais dans les couloirs où régnait un blanc mortuaire et des portes aux couleurs de la faucheuse.

- Au revoir et à jamais Richard Harkness, mon tendre père.

Sur cette phrase, Skinny Love se lançait dans mes écouteurs et je sortais du bâtiment. Je fis alors la seule chose que je n'avais osé faire ces deux derniers jours.

J'éclatais ensanglots.

Liamsons

Recueil de mes penséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant