Note de l'auteur :
Ce petit récit de Fantasy fait partie d'un recueil illustré d'histoires courtes qui graviteront autour des aventures du personnage de Kéti.
Ce recueil fait lui-même partie d'un projet plus vaste, visant à développer un univers étendu aux reflets proches de celui d'Hayao Miyazaki, de l'animé Mushishi et des jeux The Legend of Zelda, dans lequel s'inscrira également une trilogie (actuellement en cours), et sans doute d'autres ouvrages à venir.
Cet univers m'est très personnel pour diverses raisons. Étant atteinte d'un Trouble Dissociatif de l'Identité, il a notamment servi d'espace d'expressions entre moi et mes compagnons mentaux. Kéti est justement la manifestation de l'un d'entre eux. Il m'a permis de comprendre de nombreux rouages de mon passé de manière très symbolique, mais il reste avant tout le socle d'un univers fictif, conçu pour être partagé et apprécié comme un divertissement.
Je vous remercie de m'offrir un peu de votre temps pour entrer dans mon univers.
> TW : Addiction (consommation de substance hallucinogène et addictive)
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Assurément, cette herbe était bonne. Kéti adorait son goût végétal qui caressait le palais et tapissait délicieusement l'intérieur du nez. Sa bouche gercée par le froid recracha l'épaisse fumée bleue et très vite, un sourire bien-heureux dévoila ses dents grisées par la fleur d'alcine. Blottie contre un pin solide, Kéti s'enfonçait dans du coton, bercée par le chant matinal des oiseaux. Devant elle, la falaise tombait à pic sur un bras de mer paisible où se reflétaient les premiers rayons du matin. Plus bas sur la côte, courait le haut Mur Chevalier, une muraille protectrice érigée pour garder les frontières du Royaume de Sendre. Dressé face aux vagues, il formait un solide rempart contre le pays de Daï'a, contrée sauvage et mystique émergeant à l'horizon, à travers la brume. Le point de vue était idéal pour apprécier la splendeur des Monts Onyriques. Kéti aurait pu rester des heures à contempler les montagnes bleues de Daï'a, ces géantes infranchissables qui terrifiaient tant les siens.
Les pensées de la jeune femme devenaient vaporeuses. A présent, elles glissaient telles des vagues sur le sable, bercées par les roulis de la somnolence. Kéti ferma les yeux. Si sa bourse le lui avait permis, elle se serait contentée de vivre ainsi le restant de sa vie, sans plus se soucier du sort du monde. Mais la misère n'était pas le plus pénible des obstacles à son bien-être. Elle en eut la confirmation lorsque des pas maladroits s'annoncèrent derrière elle, trébuchant sur les roches. Décidément, les humains restaient les ires nuisibles de tout le continent. Ce spécimen la poursuivait depuis le bourg le plus proche, situé à deux heures de marche. Plus acharné qu'une tique !
- Vous êtes là !
Kéti cligna des paupières avant de tourner son regard vide vers la silhouette fluette qui se dressait dans la lumière matinale.
- On dirait bien, répondit-elle d'une voix morte.
- Je vous cherche depuis tout à l'heure, au marché. Vous ne m'avez pas attendu.
- Ah... non.
Le jeune homme cala ses poings sur ses hanches, l'air déterminé.
- On dit que vous êtes Chuchoteuse. Est-ce bien vrai ?
- Si c'est ce qu'on dit, alors c'est sûrement vrai, ironisa Kéti avec un petit sourire.
- J'aimerais que vous m'aidiez !
Kéti laissa retomber sa tête contre son arbre. Aussi court fut-il, le répit était déjà terminé.
- On a tout essayé avant, les médecins, les prêtres, mais rien n'y fait ! J'ai besoin de vous...
- Avant d'aller plus loin, trancha Kéti en plantant ses yeux embrumés dans ceux de son interlocuteur, tu sais bien sûr que les services d'un Chuchoteur ne sont pas gratuits.
- Ne vous inquiétez pas, je paierai ce qu'il en coûte. Je suis menuisier, j'ai travaillé dur pour faire appel à vous.
Kéti observa le jeune homme de la tête aux pieds. Un gaillard plutôt freluquet pour un artisan qui travaillait le bois. Il avait les traits tirés et tremblait légèrement sur ses jambes. Ses cheveux noirs étaient collés de sueur séchée et des plaies encore fraîches couvraient ses mains. Il avait œuvré sans relâche pour économiser et tanguait de fatigue. Kéti soupira, résignée.
- Alors vas-y, annonce la couleur...
Mais le menuisier la fixa soudain avec une colère inattendue, les sourcils froncés.
- Qu'est-ce qui t'arrive, tout à coup ? demanda la Chuchoteuse.
- Je me demandais d'où provenait cette odeur épicée, mais à présent j'ai compris. Vous êtes droguée à l'alcine ! Je le vois dans vos yeux !
- Et après ?
- Vous n'êtes pas une honnête femme...
- Si tu cherches une honnête femme, tu n'es pas au bon endroit.
- Je cherche une personne de confiance, qui saura comment m'aider et ne volera pas mon argent !
- Je ne t'ai rien demandé, c'est toi qui m'as suivie jusqu'ici. Si tu n'es pas content, passe ton chemin et fous-moi la paix.
Le menuisier passa nerveusement sa main dans ses cheveux emmêlés, aux prises avec ses doutes. Cette femme étrange ne lui plaisait pas bien. Toujours assise contre son arbre, les yeux perdus dans le vague, elle ne lui prêtait désormais plus aucune attention. Ses cheveux sombres, trop courts pour une dame respectable, étaient coupés au niveau de la nuque et livraient bataille sur tout son crâne. Sa peau brune de Sendrine était toutefois trop claire pour que son lignage soit pur. Et ses pupilles, noires comme l'encre, lui mangeaient tant le blanc des yeux que son regard en était dérangeant. Bien sûr, c'était sans compter sur son accoutrement des plus négligés, avec ce manteau trop grand pour elle et ses culottes de garçonne cousues dans du velours grossier. Avec tout cela, il avait peine à lui donner un âge. Sans doute n'avait-elle pas plus de vingt-cinq ans, mais c'était bien difficile à deviner tant son allure était dépenaillée. Cette bonne femme-là n'avait décidément rien de bien engageant. S'il avait eu le choix, il aurait tourné les talons sans tarder. Mais ce choix-là, il ne l'avait pas. Il n'avait désormais plus le luxe de faire la fine bouche :
- Vous avez raison, ça ne me regarde pas ce que vous faites de votre vie...
- A la bonne heure.
- Si vous êtes toujours d'accord, j'aimerais vous conduire chez moi pour que vous examiniez mon frère. C'est pour lui que je suis venu.
Kéti lâcha un petit rire désabusé :
- Tu demandes à une femme seule de te suivre là où tu vis avec ton frère, et c'est toi qui t'inquiètes de mes intentions ? J'aurais tout entendu... marmonna-t-elle en se levant péniblement. C'est bon va, je te suis.
- Vous acceptez ?
- Pourquoi pas ? J'ai besoin d'argent et tu m'as l'air trop nigaud pour être un menteur.
- Je m'appelle Nione, fit le menuisier en tendant une main chaleureuse.
- Moi, c'est Kéti.
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Le Dévoreur de Rêves
FantasíaKéti, une jeune femme solitaire capable d'interagir avec les esprits sauvages, parcourt le Royaume de Sendre pour dispenser ses services de Chuchoteuse. Au détour d'un village, elle rencontre un jeune homme qui lui demande de l'aide pour sauver son...