TW : contrainte, traumatisme
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Au dehors, Kéti s'était assise sur la petite marche à l'entrée de la maisonnette. Le front plissé par la contrariété, elle fumait nerveusement son herbe en ruminant ses contradictions. Par moments, elle se redressait d'un bond puis se rasseyait, résignée. Partir ? Rester ? Pourquoi lui faire ce cadeau ? Tout ce qu'il méritait, c'était qu'elle parte loin d'ici, sans se retourner. Sans même réclamer l'argent qu'il devait pour son aide précieuse. Ne plus avoir à supporter sa petite gueule de fouine larmoyante ! Pour qui se prenait-il, ce greluchon, à lui faire ainsi des sermons comme à l'église ? Que croyait-il à la fin ? Que ça l'amusait d'avoir à tirer sur sa sèche à longueur de journée pour garder les idées claires ? Pour ne pas sombrer dans la folie du manque ? Pour ne plus entendre les cris des myrages qui suffoquaient dans l'ignorance absolue. Ce monde gorgé de magie crevait à petit feu, et il n'y avait qu'elle pour le voir. Une agonie lente et douloureuse dont chacun, plongé dans ses habitudes et ses présomptions, se foutait éperdument. Et pourtant, il y avait toujours foule à sa fenêtre pour venir lui faire la morale. Les bourgeois comme les bouseux, les tâcherons comme les curés ! Les curés... Ah ceux-là ! Si elle pouvait leur faire passer toutes leurs leçons par le fondement, elle se délecterait mieux que sous n'importe quelle alcine, fût-elle offerte par Soma* lui-même !
(*Soma : divinité onyrique majeure)
La porte s'ouvrit soudain derrière elle, et Kéti tressaillit sans tourner le regard. Des pas hésitants s'approchèrent de la Chuchoteuse et finalement, Nione s'assit près d'elle. Pendant un instant qui parut interminable, il ne se passa rien. Puis le jeune homme lâcha prise le premier.
— J'ai peur, Kéti.
— Je le sais, fit-elle un peu froidement en recrachant une fumée bleutée qui rappelait la vapeur qui sortait parfois de la bouche d'Ilane.
Un silence tendu s'installa pendant quelques secondes. Kéti le rompit soudain :
— Nione... Tu te doutes bien qu'une femme comme moi ne se fait pas beaucoup d'alliés dans ce monde de culs serrés. Si je survis malgré tout, c'est que j'ai dû apprendre à ne pas me laisser bouffer par la haine et les préjugés des autres.
— Oui, je m'en doute, marmonna le jeune homme.
— Dans la plupart des cas, des propos comme les tiens me suffisent amplement pour claquer définitivement la porte, crois-moi ! trancha-t-elle sans ménagement. Parce que je n'ai plus l'intention de justifier chacun de mes gestes, chacune de mes faiblesses, chacun de mes manquements à cette foutue morale qui ferme les yeux des gens et qui m'a brisée toute ma vie ! C'est comme ça que je suis ! Et c'est ainsi que je survis.
Nione acquiesça silencieusement en essuyant une larme brûlante.
— Si je suis encore là, c'est parce que je sens une vraie détresse en toi, et je sais combien la peur peut nous rendre aveugle et agressif. Je la connais bien, moi aussi... Et je vois aussi tout l'amour que tu portes à ton frère. C'est ce qui me convainc d'aller jusqu'au bout. Mais si on poursuit, on le fait à ma façon ! C'est compris ?
Soulagé par les mots de Kéti, Nione se laissa pleurer au creux de son épaule. Cette dernière se raidit en accueillant l'étreinte tremblotante du jeune homme à bout de nerfs. Elle ne savait jamais trop comment répondre à ce genre d'effusion qui se faisait si rare dans ce monde brutal. Kéti s'autorisa tout de même à lui rendre une étreinte pataude, caressant maladroitement le dos frissonnant de Nione. Elle comprenait l'importance vitale pour le jeune homme de retrouver son frère. Aussi fragiles l'un que l'autre, ils ne pouvaient survivre qu'à deux. Si Nione perdait Ilane, il ne tarderait sans doute pas à mourir lui aussi. De solitude peut-être. Sinon par la lame de quelques crapules qui ne rechigneront pas devant l'aubaine d'un pillage facile. C'était malheureusement chose courante dans les campagnes et la nouvelle de la mort d'Ilane se répandrait plus vite que la peste. Un frisson douloureux la saisit à son tour. C'était aussi pour ça que dans le fond, elle avait espéré que Nione refuserait de prendre le risque de tuer Ilane. Elle ne voulait pas se faire l'instrument du drame. Si cela devait arriver, elle aurait préféré ne pas le savoir. Quand les sanglots s'apaisèrent enfin, elle redressa le visage de Nione, tout barbouillé de larmes :
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Le Dévoreur de Rêves
FantasiKéti, une jeune femme solitaire capable d'interagir avec les esprits sauvages, parcourt le Royaume de Sendre pour dispenser ses services de Chuchoteuse. Au détour d'un village, elle rencontre un jeune homme qui lui demande de l'aide pour sauver son...