Partie 2

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TW : évocation de de morts violentes, traumatisme

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Ce Nione devait être bien désespéré pour se faire une telle fête de la venue d'une Chuchoteuse. Depuis quelques années, ces médiateurs du monde des esprits avaient mauvaise réputation. Les Chuchoteuses étaient souvent reléguées au rang de sorcières et les Chuchoteurs, à celui d'escrocs. Il fallait reconnaitre que la profession comptait malgré elle de plus en plus de charlatans. Aussi, les gens ne croyaient plus assez aux bienfaits des échanges avec les myrages, ces esprits sauvages issus du pays onyrique. Bien que foncièrement neutres dans leurs actions, les myrages s'étaient multipliés au cours des derniers mois, provoquant parfois des perturbations inquiétantes dans le quotidien des Sendrins. Kéti sentait bien qu'un récent déséquilibre agitait Daï'a. De sinistres rumeurs couraient les campagnes, des histoires effrayantes sur des myrages possédant les honnêtes gens ou pire encore, des Onyris sournois vivant parmi les Sendrins. Depuis toujours, on imputait les meurtres les plus sordides à ce peuple sauvage vivant au-delà de la mer, dans la brume des montagnes bleues. Mais cette hantise persistante se faisait beaucoup plus oppressante depuis quelques mois. Et ce climat de méfiance n'aidait pas les Chuchoteurs à se faire bien voir.

Les deux jeunes gens marchaient désormais sur un chemin de terre aux abords d'une forêt dense. Le soleil avait déjà tiré sa révérence, caché derrière d'épais nuages. Un brouillard coriace s'avançait lentement vers eux, prêt à les étouffer dans son voile épais.

- Il va falloir vous habituer à cette purée de pois, elle ne part plus depuis que mon frère s'est endormi.

- Endormi ? demanda Kéti, intéressée.

- Oui, il dort depuis bientôt deux semaines. J'ai tout essayé, je ne parviens pas à le réveiller. C'est pour ça que je fais appel à vous.

- Si tu veux mon avis, c'est d'un médecin dont ton frère a besoin.

- Le médecin n'a rien trouvé.

- C'était peut-être un mauvais médecin ? Il y a beaucoup de charlatans dans les campagnes.

- Non, je vous l'assure. Il a fait son possible. Vous êtes mon dernier recours.

- Dans ce cas, j'ai besoin d'en savoir plus sur ton frère.

- C'est une triste histoire...Vous devez avoir entendu parler du village de Chen ...

Kéti hocha la tête d'un air grave. Il y avait presque deux mois de cela, ce petit village paisible avait vu s'abattre sur lui une lourde tragédie. Une horde d'Ecorcheurs, comme il en pullule dans la région, avait pillé les maisons et massacré une vingtaine d'habitants.

- Nous habitons tout près, un peu en retrait dans le bois d'Epilun. Mon frère, Ilane, travaillait à Chen ce jour-là. Il y vendait des bougies au petit marché. Les Ecorcheurs ont surgi tôt le matin. D'après mon frère, ils étaient sept ou huit cavaliers, le visage masqué, arrivant au galop sur les habitants avec la lame au clair. Ils ont fauché plusieurs personnes avant qu'Ilane ne se décide à fuir. Il m'a expliqué s'être caché dans une cave ouverte avec d'autres personnes. Deux Ecorcheurs sont entrés à leur suite, et les ont cherchés lentement entre les tonneaux. Chaque fois qu'ils débusquaient quelqu'un, ils lui passaient le fer dans la gorge. Ilane me parlait souvent de leurs cris qui déchiraient ses oreilles tandis qu'il restait accroupi derrière une caisse, la tête dans les bras, en attendant que son tour vienne...

Nione fut secoué d'un frisson et ses yeux devinrent troubles.

- A un moment, un des Ecorcheurs a trouvé un gamin qui se cachait tout à côté de mon frère. Il l'a vu se faire trancher le cou et se vider de son sang sous ses yeux, mais il n'a pas pu bouger. Il a juste regardé sans rien faire, il est resté caché en priant pour ne pas être le prochain. Il me répétait cela sans cesse. Il s'en voulait beaucoup de ne pas avoir agi.

Le Dévoreur de RêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant