La Mort dans ma chambre

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Ce matin-là, quand je me suis réveillé, la Mort était dans ma chambre.
Elle s'était approchée lentement de moi et m'avait tendu une boule, la faisant doucement glisser entre le creux de mes mains ramenées l'une contre l'autre.
-Qu'est ce que c'est ? avais-je demandé intrigué.
La boule était rose, sa surface grumeuse et froide. À l'intérieur elle était plus claire, brouillée et floue, mais on pouvait quand même bien distinguer une sorte de sombre noyau en son centre.
-Une âme, avait annoncé la Mort, puis elle avait rajouté presque en chuchotant, souriant légèrement. N'est-elle pas magnifique ?
Mais son sourire n'était pas heureux, il semblait triste, son visage squelettique entier semblait triste, comme si quelque chose n'allait pas.
-Mort, pourquoi me la montres-tu ?
Elle était restée silencieuse puis s'était calmement redressée, son sourire figé avait disparu et elle m'avait annoncé :
-Je ne peux plus m'en occuper, je voudrais que tu la gardes pendant un moment.
-Quoi ? Mais qu'est ce que tu veux que j'en fasse ? m'étais-je exclamé.
-Elle a besoin de toi et de se reposer avant sa prochaine renaissance, prends-en soin.
-Mais je ne sais pas comment m'y prendre ! avais-je insisté en sortant de mon lit avec difficulté et surtout le plus vigilant possible de peur de donner une trop grosse secousse, ou de faire tomber la boule de gelée.
-Éthan je sais que tu peux le faire, avait déclaré la Mort prenant le bout de mes doigts déjà occupés par la boule. Elle avait fini par me lâcher s'élançant vers ma fenêtre, embarquant avec elle, sa faux, qu'elle avait laissée appuyée contre mon poster, et traversant ma fenêtre et mon mur jaune pâle, tel un fantôme mortel alors que le ciel commençait à se lever.
Je n'avais pas réussi à me rendormir.

Et ce soir non plus, maintenant que je fixais la boule de loin. Je l'avais posée sur mon bureau, et je pouvais observer sa silhouette dans le noir légérement
éclairée par la lumiére de la nuit.
Internet ne me disait aucunement comment m'en occuper, même avec des mots clefs divers et variés :
" âme de gelée", " gelée d'âme ".
J'avais même essayé des phrases :
"âme comme de la gelée", "la Mort ma donnait une âme en gelée", "comment s'occuper d'une boule de gelée ?"
Mais rien, aucune info à part de flans et de gelée comestibles mais je doutais que la boule rose l'était.
Son état n'était pas inquiétant, en fait elle était juste restée totalement comme la mort me l'avais donnée, ronde et rose.
J'avais passé toute l'après-midi d'hier à lui inventer une vie, une théorie.
Je supposais que cette âme était en phase "d'entre deux", qu'elle était entre sa mort et sa renaissance, et qu'elle devait se reposer pour commencer une nouvelle vie en tant qu'humaine. Je m'imaginais qu'elle serait assignée femme a la naissance dans une famille binaire et dans une classe sociale moyenne, et qu'elle serait brune ou blonde, avec de grands yeux verts. Qu'elle serait une enfant mignonne et joyeuse comme la fille dragon de mon animé.
Qu'en février elle planterait des poireaux et qu'en fin de mars elle planterait des patates dans le jardin de la maison familiale, qu'elle aurait un petit frère à qui elle apprendrait à faire des roues dans leur jardin à la campagne pas loin d'une ville. De ma ville peut-être ?
Je me surprenais parfois à rajouter des détails et à m'en vouloir, pour oser lui mettre tant d'espoir avant sa naissance, imaginant déjà ce qu'elle pouvait être alors qu'elle n'avait rien commencé.
Je me demandais si moi aussi j'étais déjà passé sous la forme de gelée rose, s'il y avait d'autres couleurs, si elle m'entendait et surtout si actuellement quelqu'un d'autre aussi avait sous sa responsabilité une âme.

Dehors il faisait nuit, plus noir que quand la Mort était venue.
Pourquoi comptait-elle sur moi ?
Qu'est ce qui l'avait poussé à me faire autant confiance ?
Je me levai embêté par mon insomnie, dégageant un peu mon chat de ma couverture. Celui-ci se déroula pour s'étirer et se remettre en boule quelques pas plus loin.
Je traversai ma chambre, le salon et enfin vins actionner ma bouilloire électrique après avoir allumé le seul néon de la cuisine.
Dès que la lumière blanche se diffusa, une douleur m'irriga le cerveau.
Ça ne dura que quelques secondes le temps de se dissiper, alors que j'étais en plus ébloui par l'éclairage pâle.
Mais je savais que ce mal de tête n'avait aucun rapport avec quoi que ce soit dans cette pièce et que ce n'était pas la première fois que ça m'arrivait.
Devant la buée et le bruit de la bouilloire, une pensée me vint : est-ce que je devais préparer cette âme à sa prochaine vie terrestre ?

Le temps d'une gelée - [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant