Le temps d'une gelée - [Terminée]

Le bout

Sans elle je me préparai une soupe instantanée au curry et m'installai dans mon canapé, Ecchymose occupé à faire je ne sais quoi dans la pièce d'à côté. 
Lorsque ma télé s'alluma les sons de plusieurs voix s'élancèrent dans mon appartement, s'agrippant à mes murs, hurlant leur colère et les textes qui était écrit sur leurs feuilles de papier. La luminosité était agressante comme le son, elle se projetait de partout, crachant des couleurs bleues et rouges, mais surtout du blanc, un blanc d'hôpital.
Devant cette chaîne d'actualité je m'effondrai en larmes.
Qu'allait-elle devenir ? Qu'allait-elle découvrir sur cette planète ? Serait-elle heureuse ?
Il y avait tellement de mauvaises choses que les bonnes étaient incapables de cacher. 
Pour la première fois je ressentis toute la tristesse qu'avait pu ressentir la Mort.
Ecchymose interpellé par mes sanglots vint s'installer près de moi entre les voix et les couleurs télévisées.

Je ne parla pas pendant vingt quatre heures, ni à Salim et Lylia sur notre groupe Whatsapp lors de leurs échanges ni à Ecchymose.
Je restais muet, incapable de communiquer avec qui que ce soit, n'ayant plus rien en batterie sociale ni dans mon placard.
Je n'arrêtais pas de penser à la gelée, à ce qu'elle faisait là maintenant, à ce qu'elle avait planifié pour sa vie future.
Je cherchais sur internet désespérément une preuve qu'elle pouvait être née, un chiffre qui pouvait me montrer une piste, mais il était évident qu'elle pouvait être tellement de choses différentes dans l'univers. Je ne m'arrêtais pas à l'humain, je voulais croire qu'on pouvait aussi vivre en tant que planète, étoile, phénomène marin ou alors en phasme ou en bonsaï.
Et ça aucun chiffre ne pouvait les recenser.
Et surtout c'était sans compter que dans l'hypothèse que le temps ne soit pas linéaire, elle pouvait être réincarnée à une toute autre époque que la mienne, et carrément sur une autre planète.
J'avais séché la plus grosse journée de ma semaine impliquant six heures de cours, je ne voulais voir personne et avait décrété que j'était bien mieux devant une bonne série de dragon qu'à devoir masquer mon état mental devant toute une fac.
Le soir même Salim s'inquiéta de mon absence.
Salim n'était pas en lettres mais à sa deuxième année de master en psycho, on se voyait surtout dans les couloirs, les transports et aux pauses déjeuner.
> ça va ?
Son message privé avait été simple mais je n'avais pas voulu répondre, je ne voulais rien.
Si, une chose : que mes maux de tête s'arrêtent.
Je m'endormis tôt me morfondant sur l'absence de la gelée, sans avoir de silhouette ronde à observer sur mon bureau dans le creux de la planche en bois.

Ce matin j'avais réussi à me motiver assez pour me doucher et m'habiller. Là j'attendis dix minutes immobile sur mon canapé les mains sur mes genoux, les yeux sur la tapisserie au dessus de la télé, pour enfin me décider d'aller en cours.
Je passais la première heure d'anglais aussi muet qu'une tombe, mais lors de la deuxième je fus obligé de bredouiller un rapide : << I...I don't no >> de mon faible niveau d'A2 lorsque je fus interrogé.
Enfin ce fut que lorsque je sortis d'anglais et que Salim qui m'attendait à la sortie me demanda de mes nouvelles, que j'énonçai ma première longue phrase depuis un moment :
-Je ne me sentais pas bien alors j'ai préféré rester chez moi, du coup j'ai dormi toute la journée.
-Et ça va mieux ? s'inquiéta-t-il.
-Oui, répondis-je à moitié sûr de moi.
J'avais fini par comprendre que la renaissance de la gelée d'âme suivait probablement le cours des choses et que je ne pouvais rien y faire. Elle était sûrement à l'autre bout du monde comme en Afrique ou en Russie, en pleine Antiquité ou Renaissance à vivre ses premiers jours d'existence, et pour la suite aussi je n'avais pas mon mot à dire. Après tout, se réincarner était probablement sa décision et ce n'était pas à moi de la remettre en question.
-Au fait tu l'as fini ta quête d'élévation ? m'enquis-je pour changer de sujet.
À cette question Salim plaça vite mon absence sur le côté pour m'expliquer les différents monstres qu'il avait dû battre, ce qui me fit le plus grand bien.