Une boule pour hamster

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Ayant la chance inouïe de posséder une loupe chez moi, j'avais pu ausculter la boule, et je pouvais affirmer que la gelée d'âme était vivante. On pouvait voir une sorte de mouvement très fin et presque transparent, comme une membrane dansante autour du noyau. Deux fois j'avais cru que c'était mon imagination ou une hallucination liée à la fatigue mais non c'était elle, l'âme noire.
A cause de tout ça je me couchai encore tard, rangeant cette fois-ci la boule de gelée dans mon bureau. J'avais pu dégager des feuilles et des piles d'objets et dépoussiérer pour lui créer un espace sans particules de poussière astronautes.
Je passais la nuit dans mon lit avec Ecchymose dans les bras l'obligeant à rester près de moi lui découvrant, je devais reconnaître, un pelage plus doux qu'avant. Comme par magie manger la gelée semblait lui avoir donné les mêmes propriétés que lui aurait donné de l'aloe vera.
Pour la boule j'avais juste espéré qu'elle n'avait pas peur du noir dans mon placard.

Le lendemain, ma mère m'appela dans l'après-midi, m'invitant à rejoindre le week-end qui suivait ma cambrousse, auprès des vaches de la maison familiale que ma sœur reviendrait normalement comme moi le samedi midi.
En faisant les courses je tombai sur le rayon animalier et finis par acheter une boule de plastique pour hamster. Dès que je rentrai dans mon appartement je sortis la boule de gelée du placard où je l'avais rangé à nouveau le temps que j'aille à la fac et l'enfermai soigneusement dans la boule transparente. Celle-ci était juste à sa taille. Après m'être amusé à la faire rouler délicatement dans sa carapace sur le paquet du salon, je l'installai dans une écharpe sur mon canapé, lui faisant écouter de la musique classique grâce à mon téléphone alors que je rangeais les courses et que je m'occupais de la vaisselle.

Je m'intéressais de plus en plus à de nouvelles choses en lien avec l'âme. J'avais découvert un podcast d'un homme qui pratiquait l'hypnose transpersonnelle, quelque chose de spirituel surtout tourné sur les vies antérieures de ce que j'avais compris. J'avais pris connaissance de nouvelles croyances sur les âmes, les corps subtiles, la numérologie et d'autres concepts qui me faisaient rêver. De plus, même si ça semblait être de mauvais goût j'avais appris à faire de la gelée comme les anglais. C'était étrange à réaliser et surtout d'origine animale pour la gélatine, mais finalement elle n'avait pas fini aussi belle que j'espérais au vu du récipient dont je m'étais servi pour la mettre au frais et de ce que représentait le site internet qui m'avait partagé la recette.
La gelée d'âme passait essentiellement ses journées dans mon placard. Lorsque je rentrais je la posais à mes côtés et jouais à ma console montant le son pour qu'elle puisse entendre l'histoire interactive, même si je préférais jouer à des jeux à monde ouvert et combattre des monstres imaginaires. J'avais opté pour un jeu non violent et fantastique de sorte de ne pas lui faire peur, et de ne pas la dépayser dans son existence surnaturelle.
Je lui parlais aussi beaucoup, on passait nos soirées tous les trois avec elle et mon chat, et je leur parlais de mes journées, de ma vision des choses. Des fois je m'énervais seul face aux actualités du monde, j'exposais des théories irréalisables comme l'abolition des frontières et de l'argent. Je parlais des sentiments, des divers sports, je continuais à former la gelée d'âme à la guerre, l'histoire de l'humanité, à la géographie des constellations et parfois je lui lisais des chapitres du livre de Gabriela González, ou de celui que j'avais sur la théorie qu'on pouvait se passer de la police.
Je savais que cette tonne d'informations serait probablement oubliée à sa naissance, mais je m'en fichais. Je voulais déjà lui apprendre à savoir militer contre l'état quand on en avait besoin, à ne pas voir le monde comme quelque chose de seulement beau. Je voulais l'habituer aux infos de la radio et des chaînes d'actualités déprimantes et inquiétantes, au réchauffement climatique et à la sociabilisation, aux questions queer et à la santé mentale.
Elle, elle restait muette, sa membrane noire mouvante toujours en action, avec le même affaissement dans sa carapace à l'endroit que mon chat avait abîmé. 
En fin de compte, je me persuadais que même endormie elle pouvait m'entendre et que son esprit captait quelques bribes d'informations.

Une semaine était passée depuis samedi matin lorsque la Mort m'avait amené la gelée d'âme. Il m'était arrivé de sécher certains cours juste pour parler à la gelée et la surveiller.
Je ne regardais plus Achina de loin et n'écoutais presque plus les cours, je pensais tout le temps à ce dont je pouvais parler à la boule de gelée, dessinant sur les marges de mes feuilles des cellules rondes au noyau noir. J'écoutais dans les transports les podcasts de l'homme aux hypnoses transpersonnelles et lisais des articles sur l'âme après la mort et les moyens de communications avec les guides spirituelles et les défunt.es.
Je ne pratiquais rien, pas de cartomancie, de méditation ou d'essai aux voyages astraux. Je n'osais rien faire, alors que j'y croyais de plus en plus maintenant que j'avais une âme de gelée belle et bien vivante dans mon placard donnée par la Mort, qui m'attendait chez moi. 
Je me demandais si j'étais destiné à m'intéresser à tout ça alors que j'avais passé vingt trois ans dans une famille non croyante, que mon père avait toujours affirmé à tout va que rien de supérieur n'existait, que l'univers s'était créé un jour et qu'il finirait par disparaître un autre jour et qu'après la mort qu'il n'y avait rien. Maintenant je m'ouvrais à des conceptions dont je parlais à Salim qui me soutenait à demi attentif à ma nouvelle passion. Lylia s'y était engouffrée avec fort intérêt, me montrant parfois des comptes de médiums et de créateur.ices de contenus spirituels sur les réseaux. Elle ne comprenait pas vraiment ce qui me poussais a m'y intéresser, mais s'amusait à me parler de ses propres théories de créations cosmiques de planètes et d'étoiles qui ressemblaient plus à un champ de bataille de créatures mystiques, de dieux et déesses gay qu'à une création de l'univers conventionnel et scientifique.

-Alors ça te plait la fac ? me questionna ma mère alors qu'on était à table avec mon père, ma sœur et ma grand-mère présente pour l'occasion.
-Oui ça va, affirmais-je, n'ayant pas vraiment d'avis.
-Et ton appartement il n'y a pas trop de bruit de circulation ? s'inquiéta ma grand-mère maternelle.
-Il y en a surtout en soirée mais sinon ce n'est pas dérangeant, rassurais-je.
Avec les aides de bourses et le soutien financier de mes parents et de ma grand-mère qui me forçait à me concentrer sur mes études et non l'argent, je ne travaillais pas.
J'avais de la chance d'être dans cette position, avoir un appartement, une famille derrière moi et une aide financière. C'était simple après avoir eu mon brevet en redoublant la troisième et eu le bac par miracle au rattrapage, je déambulais entre les essais d'études.
À dix-neuf ans et vingt ans j'avais commencé sans finir une licence de psycho, à vingt et un ans je m'étais résolu à faire un an de service civique dans une asso. À vingt-deux ans, j'avais décidé de pénétrer dans le monde des lettres. Et maintenant à vingt trois ans, je faisais une deuxième licence de lettres modernes sans aucun projet pour après, mon futur était un vide sidéral entre les murs de mon appart et mon chat. Comme si tout ça n'était pas si important alors que pourtant j'avais conscience que je devais me stabiliser pour avoir au moins un diplôme, et pouvoir trouver un travail pour payer moi même mon loyer.
Alors que le sujet de conversation changeait pour viser ma sœur et les nouveautés de notre village, un nouveau mal de tête me prit. Il m'avait accompagné encore une fois cette semaine. Lylia me répétait de passer voir un médecin mais au final je n'avais aucune envie de me pencher sur le sujet.

Le temps d'une gelée - [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant