Son corps est léger comme une bise. Elle avait toujours rêvé être moins lourde mais Inui détestait cette sensation. Il n'arrivait plus à la sentir, tant elle avait maigri. Ils préféraient tout les deux oublier ce qu'elle avait vécu. Alors, il lui ac...
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« Éteins-la avant qu'elle ne t'embrase totalement. »
Le lendemain, tôt le matin, Inui était parti seul, comme il avait toujours été seul, dans la forêt, un pistolet à la main, seul souvenir qu'il avait conservé de son ancienne vie. Puis il était revenu dans la maison vide, comme figée dans le temps. À la différence que l'odeur piquante des sapins avait laissé place à celle du sang, bien bien plus corrosive.
Et quelques heures plus tard, la nuit était tombée.
Des pas se firent entendre dans l'allée de gravier, devant la maison. La porte s'ouvrit et la maison était sombre. Koko avait beau déclencher l'interrupteur, la lumière ne se faisait pas pour tout le monde.
Il était revenu pour chercher Inui, pour de bon, après que ce dernier l'ait appelé et qu'un coup de feu s'était fait entendre dans la forêt. Des traces de sang encore fraîches se frayaient un chemin jusqu'à la chambre conjugale, comme si on avait traîné quelque chose tout du long.
Suivant la traînée cramoisi, il s'attendait au pire mais gardait son visage fermé à clé. Il n'y avait rien à espérer mais il ne voulait pas qu'Inui le voit triste, si jamais lui ou quelque chose qui ressemblait de près ou de loin à son âme se trouvait là-bas. En ouvrant la porte, la main tremblante, le jeune homme avait découvert son ami, à moitié sanglotant et somnolant, assis contre son sommier, couvert de sang, son pistolet encore dans la main.
En entendant l'ouverture de la porte, le jeune blond s'extirpa de son état second et dévisagea le grand brun qu'il confondit, au départ, avec autre chose. Lorsqu'il reprit plus ou moins ses esprits, la douleur revint dans tous ses os et son coeur s'ouvrit comme une fleur de feu. Il souffla plaintivement :
« Je l'ai chassée, mais plus personne ne veut l'admirer, maintenant. »
Koko déplaça son regard près d'Inui. Le cadavre d'une biche, abattue de cinq balles dans le corps, gisait à ses côtés, la tête sur la cuisse du jeune homme qui y avait posé main. Ses yeux grands ouverts traduisaient une grande paisibilité, tout à fait surprenante dans le vacarme qu'avait dû être son trépas. Sûrement gardait-il la dernière balle pour lui-même.
Tableau macabre suintant pourtant d'une sensibilité et d'une peine qui aurait pu faire pleurer les pierres de la forêt et du lac. Koko, déstabilisé et pas moins triste que son ami, s'agenouilla près de lui.
— On retourne pas à Tokyo, le rassura-t-il en posant une main sur sa joue ensanglantée. Je vais t'emmener là où tu te sentiras mieux, là où tu voudras.
Inui ne parvint pas à sourire mais Koko n'en demandait pas plus.
Le blond avait dilapidé tout ce qu'il avait dans la caboche pour tenter de maintenir cette illusion, rien que pour une seconde de plus. Il avait ruiné son âme avec tous ces efforts et il en paierait le prix pour la vie.
Il l'aimait tellement que les mots doux s'agglutinaient dans sa gorge sans pouvoir s'échapper. La douleur provoquée par ce bouchon était presque équivalente à la peine qu'il ressentait quand il pensait au fait qu'elle ne saurait jamais à quel point il l'aimait.
Et à quel point sa vie était légère quand elle était là.
Mais, il savait qu'en tuant la biche, il tuait son illusion et ses démons avec.
Tant qu'elle serait là, il serait malheureux. Et tant qu'elle serait loin de lui, il le serait aussi.
Peut-être que si je n'avais pas tué tous ces gens, on — peut-être même Dieu si je la croyais — aurait été plus clément. Pas avec moi, mais plutôt avec elle.
Je suis fatigué. Et je me suis fatigué pour rien.
Car tous ces travaux, c'est pour elle que je les faisais. Dans la maison, dans ma tête, c'était du pareil au même. Rire, pleurer, respirer. Tout était pour elle, mais elle ne me disait jamais merci. Parce qu'elle ne pouvait plus.
J'aurais voulu que l'un de vous reste avec moi, pour une fois.
Ce n'est pas la douleur de savoir qu'elle n'est plus là qui m'empêche de regarder là-bas. C'est bien tout ce temps passé dans cette maison à croire à sa main dans ma main.
Où est passé ce temps incompressible que j'ai passé avec elle ? À quoi sont dûs ces papillons que j'ai dans le ventre constamment si ce n'est à elle ? Où vont donc aller les dernières semaines passés ici ?
Que cette force fabuleuse a cousu un voile devant mes yeux et que j'ai bu cette illusion sans sourciller. Comme un long rêve qu'on tisse, qu'on arrose patiemment, à qui on sacrifie chair et âme, et qui disparait entre deux fissures du réel lorsqu'on en a le plus besoin.
Comment me consoler, quand la dernière fois que je l'ai embrassée, c'est son cadavre que mes lèvres ont touché ?
Quand Inui se retourna et qu'il toisa la maison vide au moment de son départ avec Koko, son cœur cessa de battre à la chamade ; il voulut qu'il cessa de battre tout court.
Et il comprit.
Que son âme était morte avec elle, ce jour-là.
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