Chapitre 1

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L'enfant marche sur le chemin, à l'ombre sous les palmiers. La terre brûlée par l'été crisse sous ses pas, et la grille derrière lui l'enferme. Le voilà seul sous les palmiers, ses parents sont partis dans le déclin du soleil de midi. Il a apprit à être seul, aussi marche-t-il droit. Ses mains restent paisibles le long de son corps, un léger balancement seul les agitant. Mais voilà que, sur son chemin, se trouve un autre garçon. Et comme ils se regardent, l'un prend peur, le plus petit, et par en courant. L'autre poursuit son chemin, longeant la mousse et la bruyère, à l'ombre. Il a seulement la nuque courbée, et l'air plus triste. Il marche plus lentement, car l'autre cavale encore. Le lièvre plus rapide arrive bientôt à une bâtisse, si basse et si vieille que sans remord le lierre l'a prise. Il n'en est encore qu'au pied de la maison, mais déjà chaque feuille agrippe durement la pierre vieille, insinuant dans chaque creux et chaque interstice un petit crochet qui le lie à elle. Et la maison, lourde et immobile, qu'y peut-elle ? Alors elle se laisse couvrir, habillée de cette frémissante parure, qui piquant, qui riant, et que la bise infimement agite.

Le petit garçon s'est arrêté , et attend près d'une porte. Au dessus de lui, le lierre trace un arc dans la pierre. On tourne la poignée, et le soleil tente d'entrer dans la demeure, tandis que la chaleur recule car le froid s'échappe de l'intérieur. « Louison, mon Louison, entrez donc », et l'enfant entre. L'homme referme vite le battant, car le froid déjà se réchauffe sous les assauts du soleil de cette fin de septembre. Louison sent une main ridée se poser avec amour sur son épaule. Une voix ingénue s'échappe de sa bouche, pour répondre à la question muette posée par l'homme. « Permission m'sieur. Sur la route, sous les palmiers, je l'ai vu. On aurait dit le diable. Mon père dit qu'il faut se méfier du diable. Est-ce vrai m'sieur Mallet ? L'homme sourit, caresse les cheveux blonds.

-A chaque dieu son diable, mon Louison. Un jour vous le comprendrez, et disant ces mots, les lèvres esquissent un pâle sourire. Filez en cour, mon petit, et pas un mot surtout. » M. Mallet regarde le froid avaler le garçon, puis rouvre la porte. Il se dit que le soleil bientôt sera bon, et que le lierre bientôt sera moins chaud. Il l'aime bien ce lierre, il rend son école plus vivante, il préserve de la chaleur en été, et la conserve en hiver. Il s'accorde bien avec les cris et les pleurs des enfants. Il sait aussi que sous le lierre, se terrent milles secrets, milles chuchotis qui se répètent à l'infini, pris en échos entre la pierre et les feuilles, agrippés par les crochets. Alors chaque matins il descend à l'aube, et surveille sa croissance. Il le regarde justement, quand quelque chose vient se présenter à la limite de sa vision. Il tourne la tête, et plisse les yeux. C'est un jeune homme. M. Mallet se redresse, il doit faire bonne figure. Le garçon face à lui avance lentement, yeux fermés. Il écoute, il sent. Tout. Arrivé devant le directeur, il s'arrête.

« Scylla Robin...murmure M. Mallet. C'est vous. Venez. » Et ils pénètrent dans le froid. M. Mallet frissonne, Scylla soupire d'aise. M. Mallet se retourne sans cesse, le surveille, l'observe. Scylla garde les yeux fermés, touche les murs, sent la poussière, bute contre les imperfections du sol, et lentement, toujours lentement, suit M. Mallet, faisant de lui son guide. Mais le directeur ne veut pas être le guide de Scylla. Il ne veut pas être la chandelle dans le boyau noir, il ne veut pas être l'espoir pour l'adolescent, car son esprit serait incapable de supporter tant d'hypocrisie. Alors il marche plus vite, brouille les sens de Scylla. Le garçon trébuche, fronce les sourcils. Ainsi on s'amuse à troubler son jeu d'aveugle. Mais avant qu'il n'ai eu le temps de rien, le directeur ouvre une porte. Scylla, à travers ses paupières clauses, perçoit la lumière chaude du soleil. Son guide pénètre la lumière, et chuchote « Viens». Le garçon serre les poings, les lèvres, les paupières, contracte ses muscles. Et il avance. Il avance, avance yeux fermés.

le bruit qui coure, qui coure, sous les tables, sur les pupitres, dans les casiers, ricoche sur les lèvres et les enfants, un à un, inaudible et pourtant... Scylla l'entend. Il le connaît ce bruit qui coure, qui coure. A force de l'entendre, il n'a plus besoin d'oreille pour le reconnaître. Le chuchotis pernicieux tracé sur une portée de quelques notes cruellement semblables. Jamais un bris de verre pour briser la symphonie, jamais un mot doux pour le caresser, lui. Seulement les regards effrayés. Scylla ferme les yeux, il préfère le noir, c'est sa couleur. Noir... Si seulement sa vie pouvait se résumée à ce mot. Car noire est sa peau, noir son cerveau. Blanc aux autres, blanche sa gloire, blanc son espoir. Des rictus d'albâtres il est las.

Scylla RobinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant